Le 3 février 2024, le Sénégal a été secoué par une déclaration brutale du président de la République en exercice dont la teneur remettait en cause l’intégrité du processus électoral et la tenue de l’élection présidentielle préalablement fixée au 25 février 2024. Cette déclaration surprenante intervenait à dix heures seulement du démarrage de la campagne électorale précédant le scrutin. Le président qui a évoqué dans son discours des faits graves ayant émaillé l’organisation de l’élection présidentielle, remettait en cause la régularité de la validation des candidatures par le conseil constitutionnel et entérinait des accusations de corruption impliquant le premier ministre et candidat de la majorité présidentielle et deux juges du conseil constitutionnel.
En prenant la décision d’abroger le décret portant convocation du corps électoral et en annonçant la préparation d’un projet de la loi qui sera votée dès lundi 05 février, le chef de l’Etat, gardien de la constitution, venait de violer son serment et de créer une crise inédite au Sénégal en annulant l’élection du cinquième président de la République du Sénégal. Une situation bouleversante et alarmante qui a mobilisé des franges importantes de la société dont des organisations de la société civile qui se sont concertées pour mettre en place un cadre pour dénoncer cet acte et arrêter le vote de la loi. Cette réaction fut par la suite déterminante car ayant favorisé une mobilisation massive des citoyens et des médias nationaux et internationaux pour alerter l’opinion et dissuader les autorités exécutives et parlementaires. La vague d’indignation et de manifestation d’un désaccord populaire a aussi certainement eu son pesant d’or dans les décisions rendues par le Conseil constitutionnel. Décisions qui ont abouti, malgré le dilatoire présidentiel, à réhabiliter le calendrier républicain et faire organiser le scrutin de l’élection présidentielle avant le terme du second mandat du président Macky Sall.
Les péripéties résumées ainsi sur ce long mois de février qui, pourtant est le mois le plus court de l’année, révèlent certes une forte capacité de résilience des citoyens sénégalais mais surtout mettent en exergue des défis majeurs en matière de gouvernance démocratique et interpellent sur la nécessité de renforcer notre système national d’intégrité.
En effet, la facilité avec laquelle le président de la République a pris une décision unilatérale avec des implications aussi graves sur la souveraineté populaire révèle l’immensité des pouvoirs qui lui sont conférés dans l’organisation constitutionnelle de notre république.
L’hyper-présidentialisme
La problématique de la concentration des pouvoirs entre les mains du Président de la République est une préoccupation récurrente dans le débat public et serait un véritable goulot dans la mise en œuvre des politiques publiques du fait de la centralisation des processus de prise de décisions à tous les niveaux, mais aussi des larges possibilités données au Président de la République à agir seul sans engager sa responsabilité judiciaire et politique. Il ne rend compte à aucune institution et bénéficie de l’immunité dans l’exercice de ses fonctions. Dans ce cas, la personnalité du Président de la République ainsi que sa propension à privilégier les intérêts partisans constituent des menaces graves à la stabilité nationale comme c’est le cas avec monsieur Macky Sall. Une analyse récente de la gouvernance de la riposte nationale à la pandémie à Covid-19 a permis de démontrer que dans ces situations complexes, le Président Sall a tendance à poser des actes égoïstes qui renforcent toujours ses propres pouvoirs au détriment des libertés individuelles et collectives.[1]Le développement et l’aboutissement de la crise nous laisse croire que tout ceci a été fomenté pour permettre au Président de la République de sécuriser sa sortie de pouvoir.
L’équilibre des pouvoirs
Ce principe de l’Etat de droit qui se fonde sur la séparation des pouvoirs exécutif, parlementaire et judiciaire a été particulièrement éprouvé pendant cette crise. Les différentes institutions se sont frottées dans l’arène politique, avec au départ, la décision du Président qui agresse la constitution, suivi du vote du projet de loi par lequel l’Assemblée nationale qui revendique sa souveraineté à légiférer contre la posture du Conseil constitutionnel, qui en sa qualité de gardien de la constitution, de veilleur de la sécurité juridique et de la stabilité institutionnelle et de juge électoral a fait prévaloir son autorité ultime en la matière. La posture de la plus haute institution judiciaire du pays a permis de réhabiliter la perception populaire qui a manifesté dernièrement des doutes sur ses compétences à arbitrer les litiges politiques. La crise politique électorale de février 2024 a ainsi permis de démontrer l’effectivité de l’équilibre des pouvoirs.
L’expression responsable des droits civils et libertés fondamentales
Les libertés et droits consacrés par la constitution ont été lourdement entamés ces dernières années. Des marches interdites, des regroupements dissipés jusque dans des lieux privés, des acteurs politiques et journalistes emprisonnés sur la seule base d’informations divulguées ou d’opinions politiques exprimées,…A ce propos, l’exceptionnelle mobilisation des citoyens et le leadership éclairé de la plateforme AarSunuElection a permis de reconquérir la liberté de manifester et de marcher dans la paix. La forte mobilisation de la marche silencieuse du 17 Février a été un déclic décisif dans la suite des évènements.
En définitive, la crise électorale de février 2024 a permis de revenir aux fondamentaux de la stabilité institutionnelle, de l’équilibre des pouvoirs et de l’expression responsable des libertés et droits civils qui constituent les piliers de la charpente républicaine. L’aboutissement de cette crise est certes une issue heureuse mais nous interpelle sur l’impérieuse nécessité de procéder à des réformes profondes qui permettront de sortir définitivement de l’hyper-présidentialisme », d’aller au-delà de la jurisprudence créée par les décisions du CC en mettant en place une instance plus forte et totalement indépendante pour l’exercice du pouvoir judiciaire, et de sacraliser définitivement les libertés individuelles et collectives, tout en aménageant des mécanismes d’expression directe du pouvoir citoyen sur les décisions publiques. Cette tâche pourrait être aisée si l’on fait recours aux propositions de réformes déjà avancées par des organisations de la société civile en rapport avec les conclusions des Assises nationales (2009) et de la Commission nationale de réforme des Institutions (2016), mais aussi d’autres propositions récentes comme les « 64 Mesures pour un Sénégal souverain et solidaire dans la prospérité durable » de l’initiative de Mobilisation nationale pour l’engagement citoyen la Souveraineté, l’Unité et la Refondation (MESURe-2023). La refondation des institutions de la République est le concept fédérateur de ces propositions qui appellent à un véritable changement de paradigme de la Gouvernance democratique au Sénégal. L’espoir d’aboutir à des réformes décisives et transformationnelles est encore permis grâce à l’engagement du Président nouvellement élu pour la mise en œuvre des différentes propositions citoyennes dont certains principes sont déjà pris en compte dans le “PROJET”, son programme politique proposé aux électeurs.
[1] Etude d’évaluation de la riposte de l’Etat du Sénégal. Redevabilité active de la gouvernance sanitaire, économique et sociale de la pandémie de la Covid19 au Sénégal; LEGS-Africa, 2021. RAPPORT DE REDEVABILITE COVID-19 (citizenlegs.org)
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