La SODAV est un modèle économique et une réussite culturelle certaine à préserver et à renforcer. Depuis quelques semaines, les citoyens sénégalais, du moins certains d’entre eux, suivent un débat ou assistent plutôt à des empoignades charriant parfois une violence notable dans les joutes engagées entre des protagonistes difficilement identifiables. La seule chose que l’on sait avec certitude est que ces joutes portent sur la gouvernance de la société de gestion collective des droits d’auteurs et des droits voisins. Toutefois, tels que les échanges publics sont engagés, on peut avoir du mal à comprendre le sens de ce « débat », à saisir réellement les enjeux charriés. Seuls quelques initiés ont la chance de pouvoir décrypter le sens des accusations et contre-accusations fusant de partout. Personnellement, ces joutes me paraissent absolument surréalistes. Surréalistes vraiment, en ce sens que j’en sors avec le sentiment que certains protagonistes évitent difficilement de tomber dans le piège de paroles et d’actes qui pourraient beaucoup nuire, en salissant durablement et sans cause un instrument d’une portée économique et culturelle, à nul autre pareil dans notre pays, qui puisse exister depuis l’indépendance du Sénégal.
La SODAV est un succès indéniable. Elle nous vaut l’admiration de plusieurs États africains et est considérée à ce titre comme un modèle de réussite notable reconnue par la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs (CISAC) et citée par l’OMPI (l’Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle). En ma qualité d’ancien ministre de la Culture, je crois pouvoir le dire, sans aucune forme de parti pris dans ces joutes. De quoi s’agit-il ? Pour bien comprendre, il importe de faire un saut dans l’histoire de la gestion du droit d’auteur dans notre pays, pour en saisir les marques, afin de mieux situer les évolutions majeures qui ont abouti à la réforme législative de 2008. C’est en effet la Loi 2008- 09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins qui a pris des mains de l’Etat, la gestion du droit d’auteur qui était jusqu’ici assurée par un organisme public : le Bureau sénégalais du droit d’auteur (BSDA). Cette même loi en confia la charge à une société de droit privé nommée SODAV (Société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins). La création de celle-ci est l’expression de la volonté commune des acteurs culturels et de l’Etat, afin de répondre au souci de relever le triple défi de l’équité, de la bonne gouvernance et de l’efficacité. La différence entre le BSDA et la SODAV porte essentiellement sur deux points. Le premier point est relatif à l’étendue des droits gérés, le statut juridique et le fonctionnement. Concernant l’étendue des droits à gérer, notons, qu’en plus des droits d’auteur que gérait le BSDA, la SODAV a aussi reçu mission de gérer de nouveaux droits patrimoniaux que sont les droits voisins qui sont des droits reversés non pas aux auteurs, mais aux auxiliaires de la création tels que les artistes interprètes et les producteurs de sons et d’images : exemple, le Tama de Yamar Thiam dans les tubes de Youssou Ndour, le son de la guitare de Dembèle Sow dans un tube du Super Diamono peuvent être désormais gérés et rémunérés. Ce qui n’était point le cas avant la naissance de la SODAV. On ajoutera à cette avancée majeure le Droit de rémunération pour copie privée. Ce droit consiste en une redevance appliquée sur tous les supports vierges d’enregistrement, analogiques ou numériques (ex : clés USB), et aussi sur les appareils d’enregistrement (ex : smartphone, téléphone portable etc.). Ce Droit vient en compensation des copies à usage personnel d’œuvres musicales et audiovisuelles. Cette rémunération est répartie aux auteurs, aux interprètes, et aux producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes. Sans oublier le droit de suite qui concerne les auteurs d’œuvres graphiques et plastiques. Il associe ces auteurs au succès commercial de leurs œuvres. Il consiste en un pourcentage sur toute revente de leurs œuvres réalisés aux enchères publiques. Au Sénégal, ce pourcentage est fixé par la loi à 5%. Sans compter l’autre progrès lié au droit de reprographie qui pourrait être appelé en français facile « droit de photocopie ». Ce droit de reprographie concerne surtout les auteurs d’œuvres littéraires mais de manière plus générale, tous les auteurs dont les œuvres sont photocopiées dans des centres de copies-services, dans des centres de documentation, dans des établissements d’enseignement (primaires, secondaires, universitaires), dans des entreprises, dans des associations, dans des administrations, etc. Le droit de reprographie est tout simplement la rémunération qui revient à l’auteur en contrepartie de la reproduction de ses œuvres publiées dans un livre ou dans un journal ou dans un magazine par la voie de la photocopie. Le BSDA était l’unique organisme de gestion collective des droits d’auteur au Sénégal. Désormais, la gestion collective est assurée dans un statut d’organisme de droit privé avec un statut de « Société Civile » à caractère non lucratif. Je relève qu’un contrôle de la gouvernance de la SODAV est légalement organisé par le décret d’application de la loi 2008-09 portant sur le droit d’auteur et les droits voisins. La nouvelle société se dote d’un commissaire aux comptes, ce qui n’existait pas avant. Ce contrôle est doublé d’un contrôle par l’Etat à travers une commission permanente de contrôle qui procède chaque année à un audit dont le rapport est présenté au Président de la République, à l’Assemblée nationale, au Gouvernement et à l’Assemblée de la SODAV. C’est l’Etat qui doit organiser ce contrôle. En outre, la SODAV présente ses comptes chaque année au Ministre en charge de la Culture.
Quelques chiffres pour clore ma part du « débat » : l’organisme public de gestion collective des droits d’auteurs, avait accumulé une dette sociale d’un montant de 80 748 862 FCFA, là où le total de ses dettes avait été évalué par un cabinet d’expertise comptable désigné à cet effet à 1 033 138 171 FCFA. Par ailleurs, on note que le BSDA avait distribué aux artistes dans une durée de onze (11) ans (1999-2010), un montant de 1 322 415 120 FCFA. Son total des perceptions de recettes cumulées entre 2012 et 2015 (4 ans), s’élevait à 1 695 671 650 FCFA. Dans la même période, le total de ses charges se chiffrait à 1 213 652 087 FCFA, pour une distribution de gains aux artistes de l’ordre de 457 598 446. Ainsi, seuls 26% des sommes perçues ont été répartis aux acteurs culturels. En tentant une comparaison entre le travail du BSDA et la SODAV, on note facilement une nette différence positive en faveur de la SODAV qui a, non seulement régularisé les arriérés de paiements aux artistes dus par l’ex BSDA qui se chiffraient à un montant de 435 747 339, FCFA, mais a réduit l’endettement auprès des organismes sociaux à 61 086 723 FCFA (le total était un peu plus de 80 millions), sur un global créances héritées et consolidées sur le BSDA de l’ordre de 823 499 695 FCFA. Ainsi, à la faveur d’une notable récolte de recettes réalisée entre octobre 2016 et octobre 2019, pour un montant de 2 580 255 617 FCFA, la SODAV a payé aux acteurs culturels une somme globale de 1 182 012 264 FCFA. Sans compter son apport au Fonds de l’Action Culturelle et Sociale au cours de la période 2017 à 2019, pour un global de 53 083 186 FCFA. Les charges de la SODAV se chiffrent dans la même période à 1 408 788 695 FCFA. Autre réussite notable, la SODAV a engagé la renégociation et réussi la signature des accords de réciprocité avec de grandes sociétés la SGAE en Espagne, la SABAM en Belgique, le BBDA au Burkina Faso, l’ADAGP en France, la SODRAC au Canada, la SOCAN au Canada, la SUISA en Suisse, etc. Avec la SACEM, les négociations sont très avancées et la signature d’un protocole est imminente. Elle a aussi réussi la signature d’un nouveau contrat avec la CISAC pour l’utilisation des outils CIS (IPI, WID, AV Index et l’accès au CIS-NET), indispensables dans le suivi des droits de ses associés au niveau international, ainsi que pour la facilitation des échanges d’informations. Pour la première fois dans l’histoire de la gestion collective au Sénégal, le paiement des droits des artistes des arts visuels a pu être fait. La SODAV est sur le point d’aboutir à la signature historique et surtout imminente du premier protocole conclu entre elle et CANAL+ Sénégal. Ce protocole a un caractère particulier dans la mesure où depuis 1994, le Sénégal était arrimé au contrat qui lie CANAL + à la SACEM. Ce protocole marque une indépendance totale du Sénégal vis-à-vis de la France en ce qui concerne ses relations avec CANAL +, notamment dans le champ du droit d’auteur et des droits voisins. On peut dire qu’avec toutes ces signatures, on s’attend très prochainement à une rentrée d’argent dans les caisses de la SODAV de 400 millions FCFA, minimum. Rien qu’avec les sommes cumulées qui proviendrait des paiements de la SACEM et de canal plus. On a le droit de ne pas être d’accord avec l’équipe dirigeante de la SODAV. On a même le droit de ne pas les aimer et refuser de les féliciter. On ne peut pas cependant, au regard du devoir de vérité qui pèse sur chacun de nous, ne pas reconnaître le formidable travail abattu depuis sa mise en place par cette équipe. Notre devoir à nous tous de travailler à rendre meilleur cet instrument essentiel aujourd’hui à la mise en œuvre de nos politiques culturelles, plutôt que nous diviser à son sujet. Tous les résultats financiers et comptables certifiés sont disponibles sur son site Internet. Nous pouvons tous consulter les résultats publiés. Loin de moi l’idée de tenter d’absoudre quelque faute qui aurait été commise par les gestionnaires de cette société ou de prendre fait et cause pour les pourfendeurs de la gestion de la SODAV. Mon seul souci, c’est la nécessité de préserver et de renforcer cette structure dont le rôle éminent est de permettre à nos génies des différents sous-secteurs de la culture de vivre décemment de leur art, conformément à la vision du Président de la République. C’est pourquoi, l’évaluation institutionnelle et financière commanditée par le Président de la République permettra sans doute d’édifier les protagonistes en clarifiant davantage la gestion de la SODAV, mais également de relever d’éventuels manquements et les bons points dans cette gestion. Rappelons simplement qu’un acte d’audit dans une entreprise moderne est banal, somme toute normal. L’audit demandé permettra surtout de mieux organiser le développement organisationnel de cette structure et de renforcer ses performances au bénéfice des créateurs et acteurs culturels, mais aussi de l’Etat.
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