Nul ne doit perdre la vie en donnant la vie, mais rien n’est plus douloureux et dramatique que de perdre sa vie et celle de l’enfant durant l’accouchement après neuf durs mois de grossesse pour une femme dans les locaux sensés sauver ou préserver la vie de tout risque périlleux. En convoquant les 3 retards liés aux décès maternels encore très préoccupants dans notre pays 236 pour 100.000 naissances, il y a lieu dans certaines situations d’évoquer le 3ème plus grave retard, celui de prise de décision dans nos structures sanitaires ou hospitalières pour mettre le personnel devant ses responsabilités.
Dès lors, dans les exemples précis, tant avec le cas de l’hôpital de Louga et récemment avec la maternité du centre de santé de Kédougou, il semble se poser un problème de retard de prise de décision de pratiquer une césarienne, même si dans le dernier cas se dresse avec acuité la question de la référence et de la contre-référence. Dans le cas du drame de la maternité de Kédougou, il est légitime, d’après les récits, de se questionner sur le premier retard, exclusivement sous la responsabilité de la famille, quelles que soient par ailleurs les considérations qui pourraient être invoquées.
S’invite aussi au débat la problématique de celui qui est habilité à recevoir le patient référé et, du point de vue hiérarchique, ce n’est personne d’autre que le médecin généraliste ou spécialiste, quel que soit le contexte. En d’autres termes, hormis la case de santé qui oriente vers l’infirmier Chef de poste de la zone de responsabilité, aucune Sage-femme et infirmier ne doivent prendre en charge une personne référée par son collègue, seul le médecin, avec ou sans spécialité, a la légalité et la légitimité d’agir en pareille circonstance.
Ironie du sort au procès de Louga où des sages-femmes n’ayant aucune compétence de prise de décision ou de pratique de la césarienne, se sont retrouvées sur le banc des accusés et en prison pendant que les gynécologues étaient présentés comme témoins du décès de la dame Astou Sokhna. L’histoire a encore bégayé au service de néonatalogie de l’hôpital Abdoul Aziz Sy Dabakh de Tivaouane avec le décès des onze bébés calcinés, l’infirmière, la sage-femme et le maintenancier étaient envoyés en prison et les pédiatres de service et la Directrice de l’hôpital n’ont pas du tout été inquiétés.
Il est temps d’agir en se posant la triviale question de savoir qui est qui et qui doit faire quoi avant de s’interroger sur les moyens circonstanciers d’actions du décideur. Les paramédicaux ne peuvent être désignés comme d’éternels agneaux du sacrifice de tous les maux du système de santé pourtant malade de milles et une tares.
L’affaire de la maternité du centre de santé de Kédougou interpelle les consciences à plus d’un titre. Elle pose les limites de la responsabilité de chaque membre de l’équipe médicale. Le Procureur, en mettant tout le monde en prison, confond à dessin les rapports de subordination qui les lient les uns aux autres et dans le cas d’espèce, il n’y a qu’une seule responsabilité bien qu’elle ne rime point avec culpabilité.
C’est pourquoi, même s’il faut répondre de ses actes, mettre le personnel de santé dans les liens de la détention n’est pas la panacée. Encore qu’à chaque fois, on assiste à une justice à géométrie variable, ce qui pousse les victimes à s’insurger contre l’arbitraire.
Au demeurant, même s’il est légitime et vital de faire preuve de solidarité, c’est le lieu de se féliciter de la mise en liberté des personnels arrêtés dans cette affaire, le silence des autorités du ministère jadis très promptes à occuper les plateaux de télévision pour dénigrer et jeter les paramédicaux en pâture et à la vindicte populaire est troublant. Il en est de même du tintamarre orchestré mais, espérons-le, la médicalisation tout azimut du ministère n’est pas arrivée à ce stade de décrépitude. Pourtant, personne ne se presse pour réviser la nomenclature des actes professionnels car cette situation d’ambiguïté permet à certains de se débiner sur les autres quand ça sent le roussi dans l’indignation sélective.
Par ailleurs, le défaut de garde séniorisée, les astreintes illégales et inopportunes ont fini de gangréner le système de santé et surtout nos services d’urgences pour la viabilité et la disponibilité desquelles And Gueusseum se bat en permanence.
Alors, que faut-il faire si ceux qui peuvent et doivent ne font pas pendant que ceux qui ne peuvent et ne doivent avec beaucoup de zèle font et défont au gré des circonstances au risque de tout compromettre, malgré toute la bonne volonté du monde.
Dans l’esprit et la lettre des serments d’Hippocrate ou autres, de la morale ou simplement des règles les plus élémentaires de la déontologie, avant de s’interroger sur l’obligation de moyens ou de résultats, il faut toujours mettre en avant l’obligation d’une bonne prise en charge des populations qui sont la raison d’être de tout personnel de santé, quels que soient les conditions ou le niveau d’exercice.
C’est aussi le moment de se questionner sur la pertinence, pour des considérations mercantiles, de maintenir l’activité chirurgicale dans un centre de santé au moment où l’hôpital flambant neuf et mieux équipé peine à recevoir des patients. Le ministère de la santé et de l’action sociale est interpelé pour une meilleure rationalité de l’offre de soins dans la région.
C’est pourquoi le développement du capital humain dans tous ses aspects, la réglementation des pratiques dans les normes par la création des ordres de sages-femmes et des infirmiers à côté des autres ordres de médecins, de pharmaciens entre autres et la déclassification de certains simples actes médicaux ou chirurgicaux doivent s’engager sans délai pour une meilleure prise en charge médicosociale des populations mais aussi une meilleure protection juridique et administrative du personnel soignant.
Dakar le 08 septembre 2022
Ousmane DIOUF
Administrateur de And Gueusseum
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