Jean Jacques Rousseau, Karl Marx et Herbert Marcuse sont trois niveaux de réflexion approfondie sur la problématique de l’aliénation de l’homme.
Au XVIIIème siècle, à la question de l’académie de Dijon de savoir l’origine de l’inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi universelle, Jean Jacques Rousseau répond que l’homme est naturellement bon et heureux ; c’est la civilisation qui l’a corrompu et qui a ruiné son bonheur primitif : « Je conçois, dans l’espèce humaine, deux sortes d’inégalités : l’une que j’appelle naturelle ou physique, parce qu’elle est établie par la nature (…) ; l’autre qu’on peut appeler inégalité rurale ou politique parce qu’elle dépend d’une sorte de convention et qu’elle est établie ou du moins autorisée par le consentement des hommes. »
Au XIXème siècle, Karl Marx, par l’entremise du matérialisme historique, soutient que l’histoire de toute société est celle de la lutte des classes et que la finalité de l’histoire, c’est d’aboutir à la société sans classe : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes. (…) Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante.»
Au XXème siècle, dans son célèbre ouvrage : L’homme unidimensionnel, Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée (1989), Herbert Marcuse analyse le mécanisme de fonctionnement des sociétés industrielles et s’aperçoit que l’homme a perdu sa dimension d’intégration. En développant la théorie du grand refus et l’idée de tolérance répressive, il explique comment l’homme est devenu instigateur d’un système qui le broie et qu’il se devait de combattre.
Ces trois réflexions montrent que deux problèmes sont inhérents à la vie en société : les questions de l’inégalité parmi les hommes et de la domination d’un peuple par un autre qui impliquent la problématique de la coexistence des cultures.
En ce XXIème siècle, cette préoccupation se veut plus poignante. Dominique Strauss Kahn, ex Directeur Général du FMI, lors de son allocution le 1er Novembre 2010 à Agadir, portant sur : « Développement humain et répartition des richesses » le confirme en partageant l’idée de l’historien britannique Tony Just disant que la perte de la cohésion sociale s’avère « la pathologie de notre époque et la plus grande menace pour la santé de toute démocratie ».
Comment donc reconstruire l’imaginaire social, africain en particulier de sorte à susciter une véritable synergie de relations franches entre les peuples et favoriser une vie sociétale plus humaine ?
De notre point de vue, la première étape doit être la politisation de la population au sens où l’entendait Frantz Fanon : « Politiser, c’est ouvrir l’esprit, c’est éveiller l’esprit, mettre au monde l’esprit. C’est comme le disait Césaire, ‘‘inventer des âmes’. Politiser les masses, ce ne peut pas être faire un discours politique. C’est s’acharner avec rage à faire comprendre aux masses que tout dépend d’elles ». En d’autres termes, il faut que le peuple soit cultivé ; c’est-à-dire qu’il ait une lecture claire des enjeux du jeu de la gouvernance mondiale. Raison pour laquelle, Jean Paul Sartre disait que pour lui, un homme n’est pas cultivé parce qu’il connait tous les grands auteurs, mais plutôt quand il a une juste appréhension de sa situation sociale.
Secundo, les institutions doivent être l’émanation du peuple. Cela implique l’expression pleine des libertés fondamentales et des droits, le respect strict des procédures judiciaires, la garantie de la présomption d’innocence et une juste répartition des richesses.
La troisième étape est le rejet du discours politique identitaire : source de conflits, de dérapages incontrôlables, parce qu’il entraîne la discrimination et l’exclusion.
La cohésion sociale réside avant tout dans l’élaboration d’un discours politique intégrateur. C’est pourquoi, Damon Mayaffre soutient que « la parole politique à moins pour vocation de véhiculer un message que de construire un espace identitaire ». Le discours politique intégrateur suppose le respect du droit à la différence. Car comme le disait si bien le professeur Pierre Ekanza : « C’est au prix de la liberté de parole et d’écriture que s’acquièrent et la liberté de pensée et la vérité d’un débat».
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