Les crises politiques meurtrières que traverse le Sénégal (mars 2021 et juin 2023) constituent une opportunité pour nous de revenir sur la problématique de la communication gouvernementale.
Tout d’abord, rappelons quelques fondamentaux de la notion de « communication de crise ». Étymologiquement le terme « crise » vient du mot grec krisis, qui signifie « décider ou distinguer » en réponse à une situation particulière. La crise est une situation instable de danger qui entraine une rupture d’équilibre. Lorsqu’elle survient, elle provoque des émotions telles que la peur et la panique au sein de la population qui a souvent tendance à incriminer les décideurs politiques.
Une crise est un événement inattendu et imprévisible. Sa gestion relève de la prise en compte de ce que Donald Rumsfeld appelle « l’imprévisible imprévisible ». Dans un tel contexte, on déploie la communication de crise où l’accent est surtout mis sur la cohérence, la continuité et la justesse de l’information. Elle requiert une certaine habileté mais également une prudence pour ne pas envenimer la situation, pour ne pas créer une panique généralisée. Antoine de Saint-Exupéry rappelle la force de la parole en ces termes : « N’oublie pas que ta parole est un acte. ». D’ailleurs, n’a-t-on pas l’habitude de dire qu’une bonne communication de crise ne garantit pas que tout se passera bien; en revanche, une mauvaise communication garantit que tout se passera mal.
La manière dont le gouvernement du Sénégal s’est attaqué à ces événements malheureux du point de vue de la communication a suscité de multiples questionnements quant aux objectifs recherchés mais surtout au respect des fondamentaux de la démarche cruciale. Il faut donc reconnaitre que cette cacophonie révélée par beaucoup de spécialistes, dont nous partageons d’ailleurs les grandes lignes, résulte d’une tare notée dans la gouvernance de la communication des institutions publiques sénégalaises depuis très longtemps. D’ailleurs, des chercheurs comme Djibril Samb ont toujours pointé du doigt le « caractère incohérent de la communication gouvernementale » du Sénégal . Le gouvernement du Président Macky Sall l’a tellement compris qu’il a mis en place un Bureau d’Information Gouvernemental (BIG), logé à l’époque à la Primature et dont le but est de coordonner ses actions en la matière. Malheureusement, cette institution importante est morte dès sa naissance.
Au Sénégal, 2012 a été un tournant décisif dans la vie politique et surtout dans les relations gouvernants/gouvernés. Cela s’est traduit notamment par l’éclosion d’une nouvelle force citoyenne animée principalement par les jeunes qui constituent d’ailleurs plus de la moitié de la population. Les citoyens deviennent beaucoup plus regardants et plus exigeants en matière de gouvernance de l’Etat. On assiste à la création tous azimuts de mouvements citoyens et au renforcement de la société civile. Un autre facteur ayant contribué au renforcement de la vigilance citoyenne par rapport à la chose publique reste le développement de la connectivité internet et la diversification des réseaux sociaux numériques. Le citoyen reçoit au quotidien et de façon instantanée une pluralité de messages, d’informations de tout genre qui souvent ont besoin d’être décortiqués, élucidés.
La communication publique, cette communication « formelle qui tend à l’échange et au partage d’informations d’utilité publique ainsi qu’au maintien du lien social et dont la responsabilité incombe à des institutions publiques » , constitue un pilier majeur de gouvernance politique. Outre le fait d’assurer l’information nécessaire au fonctionnement des services publics, elle doit rendre compte des politiques publiques, rendre lisibles l’institution et ses décisions, montrer le sens, l’ambition, les conséquences et les contraintes des choix publics. Sa mission principale est de servir l’intérêt général et la démocratie.
Une meilleure prise en compte de la communication publique aurait contribué à un management efficace de la marque « Etat du Sénégal » ; à une meilleure visibilité et une lisibilité des politiques, projets et programmes ; à une facilitation de l’accès aux données ; à une meilleure diffusion des informations relatives aux activités et réalisations gouvernementales ; au développement d’une relation de confiance entre l’Etat et les citoyens ; à l’instauration d’un climat de stabilité socio-politique. C’est donc un outil extrêmement important sur lequel devraient s’appuyer les gouvernants dans la réalisation des tâches qui leur incombent. Après observations et analyses, nous avons identifié trois facteurs qui gangrènent la communication institutionnelle au Sénégal.
- La professionnalisation des acteurs : La communication publique devrait s’appuyer aujourd’hui sur une professionnalisation de ses acteurs, pratiquant des métiers reconnus et renforcés par des formations spécifiques de haut niveau. Malheureusement au Sénégal, la réalité révèle qu’avec la politisation de l’administration les chargés de communication sont souvent choisis par copinage. Il n’est pas rare de voir des responsables de communication d’institutions publiques sans expériences professionnelles et même sans diplôme requis. Mathieu Griffon déclare d’ailleurs à ce sujet : « Si la communication est souvent perçue comme des techniques innées, elle est en réalité un véritable métier qui s’apprend en théorie et dans un quotidien riche en expérience diverses et variées » . Ce manque de professionnalisation de ce métier prestigieux fait qu’on a souvent affaire à des agents qui ne s’occupent que de médiatisation au détriment de la vraie communication publique fondée sur une démarche de réflexion stratégique. Jean-Luc Lagardère souligne que « La communication est une science difficile. Ce n’est pas une science exacte. Ça s’apprend et ça se cultive ». Et pourtant, des universités publiques comme Gaston Berger de Saint-Louis mettent chaque année sur le marché plusieurs dizaines de jeunes sénégalais spécialisés en communication publique et territoriale qui malheureusement ne sont pas exploités. Il urge dès lors de penser à la professionnalisation des acteurs à travers la mise en place d’un corps des professionnels de la communication publique. A partir de ce moments les communicants ne dépendront plus des humeurs des autorités, mais aussi des remaniements ministériels.
- La prédominance de la propagande politique : N’étant souvent pas recrutés selon les compétences, mais selon les relations, bon nombre de chargés de communication d’institutions publiques ne gèrent généralement que l’image de ceux qui les ont nommés en ignorant royalement leurs vraies missions. Ils travaillent quotidiennement à assurer la visibilité et la notoriété de leurs leaders en foulant au pied les exigences d’une communication publique. Leur objectif étant autre que d’assurer une promotion ou une longévité institutionnelle au leader dont ils gèrent l’image. Dès lors la communication s’occupe d’un intérêt particulier en lieu et place d’un intérêt général alors que les acteurs sont payés avec les ressources publiques.
- Le financement : Contrairement aux entreprises privées qui accordent une place centrale à la communication, les institutions publiques relèguent souvent ce levier important de gouvernance à une simple formalité, voire à une simple médiatisation. Les restrictions budgétaires dues à la crise économique affectent la communication publique. Dès lors, ces institutions fonctionnent sans cellule, elles ne mettent généralement pas à la disposition de la communication un budget car celle-ci est souvent perçue comme « gadget » non prioritaire. C’est d’ailleurs pourquoi il est rare de voir une politique communicationnelle soutenue dans la plupart des organes de l’Etat.
En définitive, comme on le soulignait à l’époque de l’apparition de la pandémie du Covid-19 « Rien ne sera plus comme avant ». Parmi les réformes fondamentales à apporter dans la manière de gérer l’Etat et ses services, la communication occupe une place importante surtout dans un contexte de diversification des sources d’informations. Parmi les secteurs où le changement de paradigme est inévitable il y a évidemment la manière de gérer les relations gouvernants/gouvernés. Pour ce faire, la communication des institutions publiques sénégalaises doit être accompagnée par un financement en fonction des ambitions de gouvernance, ceci grâce à des ressources humaines hautement qualifiées qui ne dépendront ni d’une instabilité institutionnelle, ni d’une appartenance politique ou clanique. La professionnalisation des acteurs tout comme la dépolitisation de la fonction de chargé de communication constitue donc une des exigences d’une communication au service de l’émergence, car comme le dit Marc Roussel, « Tout problème résulte d’une rupture de communication ».
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