En juin 2022, au lendemain de la scandaleuse annulation par le Conseil constitutionnel — décidément récidiviste en la matière ! — de la liste nationale des titulaires de la coalition Yewwi Askan Wi aux élections législatives de juillet de la même année, Laye Bamba Diallo et moi avions rédigé en commun un éditorial. L’objectif était de demander au président de la République, en sa qualité de maître du jeu, non seulement d’apporter des correctifs à cette injustice qui venait d’être faite à la composante la plus radicale de l’opposition mais aussi, plus généralement, de prendre des mesures de nature à apaiser la situation. De se hisser à la hauteur de la situation, ou au-dessus de la mêlée, pour jouer son rôle d’arbitre. Nous lui avions donné l’exemple du roi français Henri IV qui, pour mettre fin à l’effusion de sang français provoquée par les guerres de religions, s’était converti au catholicisme en s’écriant « Paris vaut bien une messe ! »
Entre les lignes, nous suggérions au Président de tendre la main à l’opposition afin de régler tous les contentieux par le biais d’un dialogue. Nous lui avions rappelé à cette fin la Table ronde organisée en son temps par le Président Abdou Diouf en 1992 afin de définir de nouvelles règles consensuelles du jeu électoral. Des règles qui, pour l’essentiel, tiennent toujours. Je reproduis d’ailleurs dans ce journal cet éditorial commun qui nous avait valus les foudres du président de la République. Il ne nous les avait pas exprimées directement mais les retours que j’ai eus personnellement de ce texte c’est que Macky Sall était entré dans une colère noire contre ma modeste personne en particulier et s’était écrié : « Ne me parlez plus de celui-là ! »
De fait, depuis la parution de ce fameux éditorial, je n’ai jamais eu le moindre contact, ni direct, ni indirect, avec lui. Personnellement, j’avais aggravé mon cas, si l’on peut dire, puisque j’avais rédigé par la suite plusieurs papiers pour lui demander de négocier directement avec Ousmane Sonko !
LES SECUROCRATES PRENNENT LES COMMANDES !
Bref, à l’époque, le président de la République ne voulait pas parler de négociations, de dialogue, de concertations ni même de rencontre avec Pastef et Sonko. Il entendait se donner les moyens d’écraser ce parti et ses militants, son leader en tête, comme des mouches. Sur les conseils de ses sécurocrates, il est allé acheter — à coups de dizaines de milliards — des armes sophistiquées, des équipements de maintien de l’ordre et de cybersurveillance dernier cri, a recruté à tour de bras des policiers et des gendarmes, maintenu les militaires qui devaient être libérés, rappelé sous les drapeaux des soldats retraités, octroyé toutes sortes de primes pour maintenir ou augmenter le moral de la troupe.
Gonflé à bloc par des courtisans qui lui disaient que c’est un « thieddo », c’est-à-dire le descendant d’une lignée qui préfère la guerre à toute autre chose, Macky Sall a endossé les habits de Samba Guélaguédji, ce fabuleux héros qui s’enhardissait à mesure que les balles tonnaient. Il s’est vu comme un chevalier Bayard sans peur et sans reproche et a multiplié — ou tenté — les expéditions guerrières tout au long de son magistère. Au nom de cette conception guerrière de l’Histoire, il a envoyé notre armée guerroyer en Gambie pour y rétablir… la démocratie. Il a aussi voulu l’enrôler dans la coalition internationale formée par le prince Mohamed Ben Salman d’Arabie Saoudite pour combattre les rebelles houthis au Yémen. Plus récemment, il avait déjà mobilisé un contingent pour aller déloger les putschistes nigériens !
Pour en revenir au sujet de ce papier, après que le président Macky Sall s’est surarmé, une véritable chasse à l’opposant s’est alors ouverte, une traque contre les jeunes gens qui commettaient le « crime » de militer à Pastef ou d’exprimer une quelconque sympathie pour son leader. Encore une fois, plutôt que de trouver une solution politique à une crise éminemment politique, le Président a voulu la régler par la répression et sur les plans sécuritaire et judiciaire. Bien évidemment, des entrepreneurs de la tension et des rentiers de la peur ont profité de cette situation pour s’enrichir à milliards…
Plus de 50 morts, environ 1800 prisonniers politiques, des milliards de francs de dégâts matériels et une économie à l’agonie plus tard, le Président se rend compte à la fin de son magistère de l’impasse dans laquelle il s’était engagée. Avec, je l’ai dit, les encouragements de ses sécurocrates et de ses faucons qui, au fond, sont les seuls gagnants dans cette répression tous a azimuts qui a déferlé sur notre pays deux ans durant. Dire pourtant que le président de la République aurait pu faire l’économie de la crise que nous vivons depuis 2021 et de tous les dégâts humains et matériels de son bras de fer avec Pastef ! De ce bilan immatériel, aussi, qui assombrit son magistère. Deux ans de gâchis pour se rendre compte de la vanité — voire de la prétention — de réduire l’opposition à sa plus simple expression. Mieux vaut tard que jamais et le Président Macky Sall apprend avec deux ans de retard et un énorme gâchis que c’est par là, c’est-à-dire le dialogue qu’il mène aujourd’hui avec Ousmane Sonko, qu’il aurait dû commencer. Ah, s’il avait écouté les « grands » que nous sommes et s’était abstenu de traiter leur éditorial de juin 2022 par le mépris !
Mamadou Oumar NDIAYE
PS : Je n’ai pas discuté de ce papier avec Laye Bamba Diallo et l’assume donc entièrement tout seul. Lui travaillant pour le service public, il ne faudrait surtout pas que mes écrits puissent lui porter préjudice !
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