Quelles que puissent être les circonstances dans lesquelles François Mancabou a trouvé la mort, la responsabilité de la police est engagée. C’est le point de vue de Madiambal Diagne. Dans une tribune publiée ce lundi 18 juillet dans Le Quotidien, il pointe du doigt, aussi, les incohérences du Procureur de la République et des zones d’ombres qui entourent ce dossier. Extrait choisi :
“Le premier regret est que le Parquet ait attendu de faire le constat du décès pour annoncer l’ouverture d’une enquête ; elle aurait dû être ouverte depuis le jour où les blessures avaient été observées, d’autant que l’état de la victime avait nécessité une hospitalisation en urgence. C’est le lieu de regretter la prise de parole tardive des autorités de l’Etat qui restaient aphones, pendant de longues semaines, alors que tous les jours les médias se faisaient l’écho de nouvelles alarmantes sur le sort de François Mancabou. Cette attitude désinvolte et laxiste est bien regrettable, surtout que dans sa sortie face à la presse, le procureur n’a rien dit qui n’aurait pu être dit depuis presque un mois. De surcroît, la prestation du procureur devant les médias a laissé tout le monde sur sa faim du fait de son impréparation manifeste ou du manque de sérénité visible. Du reste, quelle est cette stratégie de communication du procureur d’avoir insisté sur l’implication certaine de François Mancabou dans la commission des faits criminels pour lesquels la «Force spéciale» est poursuivie et de dégager toute responsabilité des policiers dans les circonstances du drame ? Le procureur aurait fait montre de neutralité et serait plus crédible s’il laissait la porte ouverte à une quelconque responsabilité de la police. De même, la compassion de l’Etat envers la famille du défunt aurait pu être plus manifeste au cas où le procureur, après avoir parlé en langue nationale wolof, eût pensé faire traduire séance tenante son intervention en langue mancagne. Ce serait un acte de contrition qui pourrait avoir le mérite d’apaiser la famille et les proches par la reconnaissance de l’appartenance nationale de cette communauté. On ne dira jamais assez que les minorités, dans toute société, ont une tendance atavique à se sentir exclues, non reconnues par les autres et se réfugient dans un communautarisme, surtout dans des situations de malheur. La déclaration apaisante de Joao Mancabou, oncle du défunt et chef traditionnel de la communauté mancagne, est à saluer.
Un climat de suspicion pèse sur la police dans cette affaire. François Mancabou a-t-il été victime d’un interrogatoire trop musclé ou, se sentant cerné, s’était-il fracassé délibérément le crâne dans un geste de désespoir ou même dans l’objectif de «foutre le bordel» dans l’enquête ? Toutes les éventualités sont à envisager et seule une enquête exhaustive et impartiale pourrait lever les équivoques. Seulement, l’enquête annoncée ne semble pas être conduite dans des conditions qui rassureraient toutes les parties. En effet, le temps long qui s’est écoulé depuis la survenance des faits laisserait la latitude de fabriquer une version ou de faire disparaître des éléments compromettants. En outre, en raison de la gravité des faits et des circonstances troubles, le choix d’une enquête de police peut apparaître inapproprié, encore que cette enquête soit confiée à des policiers de la Division des investigations criminelles (Dic) qui auront à enquêter sur des faits mettant en cause leurs collègues policiers de la Sûreté urbaine. Le procureur aurait été plus inspiré ou donnerait de bons gages en ouvrant directement une information judiciaire confiée à un juge qui, au besoin, aurait la latitude de donner une délégation judiciaire à la gendarmerie. En outre, depuis l’éclatement de cette affaire, aucune mesure conservatoire, comme la suspension par exemple des personnes ayant participé ou ayant assisté à la survenance des faits, n’est encore connue du public. Quel est le rôle et la place de la prévôté ou les autres services de l’Inspection générale de la police ?
En tout état de cause, la responsabilité de la police est engagée dans cette affaire car, même s’il s’avérait que François Mancabou se serait infligé lui-même ses blessures, la police a l’obligation d’assurer la sécurité absolue de toute personne placée sous son autorité. Les lois en vigueur au Sénégal interdisent tout acte ou geste de maltraitance contre la personne détenue, mais aussi les préposés à sa surveillance doivent s’interdire de la laisser s’infliger du mal. Quand on entre sur ses deux pieds dans les locaux de privation de liberté, on ne doit pas en sortir sur une civière. Mieux, c’est enfoncer une porte ouverte que de dire qu’une attention particulière devait être accordée à des personnes présumées fortement dangereuses, capables de tout extrémisme et qui sont poursuivies pour des actions de terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’Etat.
De graves dysfonctionnements se sont révélés dans la gestion de ce dossier comme par exemple l’évasion rocambolesque du présumé cerveau de la bande, Pape Mamadou Seck, qui se serait fait la malle après son hospitalisation au Pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec. Si le détenu a pu s’évader sans assistance, c’est sans doute parce que les motifs de son hospitalisation étaient fallacieux et/ou que le sérieux et la rigueur ont manqué dans sa surveillance dans une enceinte pénitentiaire. Si Pape Mamadou Seck a pu s’évader dans de telles conditions, c’est qu’il aurait pu aussi se suicider pendant qu’il était en détention et cela en rajouterait au charivari. D’un autre côté, la pilule serait encore plus difficile à avaler au cas où il aurait bénéficié de complicité.
Tout cela fait accuser assez facilement les autorités de l’Etat de toutes les ignominies. La mort de François Mancabou met de l’eau dans le moulin des proches, notamment les compagnons politiques de Pape Mamadou Seck qui persiflent, se demandant s’il n’aurait pas été tué et que les autorités cacheraient son corps. Il faut dire que les autorités prêtent le flanc à la critique. Quelle est cette idée de faire visionner par des personnes privées, étrangères à une enquête judiciaire, une vidéo, pièce essentielle de la procédure ? C’est le geste maladroit de certaines autorités de l’Etat qui ont fait voir à des responsables d’organisations humanitaires, un enregistrement vidéo dont le procureur avait parlé et qui montrerait que François Mancabou se serait volontairement cogné la tête. Si au nom de la transparence on se permettrait ainsi de violer allégrement le secret de l’instruction judiciaire, pourquoi ne pas alors montrer cet élément à tous les Sénégalais à travers les nombreuses chaînes de télévision ? La démarche est non seulement illégale et révèle un grand amateurisme ; les autorités de l’Etat ne sauraient se permettre de faire tout ce qui leur passe par la tête. Les avocats de la famille de François Mancabou ont le beau rôle de crier à une orientation ou des influences sur l’enquête. De même, la durée de l’enregistrement de 13 minutes, comme indiqué par le procureur (ironie du sort, le même temps qu’a duré sa déclaration devant la presse !), est un facteur d’interrogations. Si un extrait a pu être versé au dossier, pourquoi ne pas verser au dossier l’intégralité de tous les enregistrements disponibles ? Aussi, les personnes présentes au moment des faits pourraient être tenues pour non-assistance à personne en danger” Madiambal Diagne
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