Une étude conduite par deux universitaires sénégalais alerte sur “l’augmentation spectaculaire du commerce illicite” de bois de vène à la frontière sénégalo-gambienne, dans le département de Vélingara (sud), une pratique dans laquelle, les trafiquants procédant parfois par négociation avec les populations locales.
Dans certains cas, ils n’hésitent pas à en découdre avec les surveillants forestiers locaux en nombre “insuffisant”, relèvent Moussa Mamadou Baldé et Adama Cheikh Diouf. Leur étude, intitulée “Dynamiques des acteurs autour de l’exploitation illicite du bois de vène dans les communes de Badion et de Kandia en haute Casamance : négociation, rapports de force et arrangements”, a été publiée en juillet dernier dans “Revue international Dônni” (RID). Cette publication revue semestrielle et multidisciplinaire bilingue (français et anglais) a été fondée en 2021 par des universitaires à Ségou (Université de Ségou-Mali), pour la promotion du savoir dans sa diversité. Destinée particulièrement aux chercheurs, enseignants chercheurs et praticiens dont les axes de recherches concernent les thématiques contenues dans ses objectifs, cette revue est spécialisée dans la publication d’articles originaux, théoriques ou empiriques, dans le domaine des sciences de l’homme, de la société et de la vie. Moussa Mamadou Baldé et Adama Cheikh Diouf interviennent au Laboratoire Leïdi de l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis (nord du Sénégal).
Les communes de Badion et de Kandia se situent dans le département de Vélingara du côté de la frontière gambienne. Les deux chercheurs font observer que la coupe illicite de bois de vène “est devenue une activité incontournable pour de nombreux ménages dans les communes de Badion et de Kandia (département de Vélingara)”. “Ces dernières années ont été marquées par une augmentation spectaculaire du commerce de cette espèce (…)”, écrivent-ils dans leur étude. Selon les deux universitaires, “grâce à son excellente propriété calorifique, le bois de vène est collecté pour être transformé en charbon ou encore utilisé comme aliment de fourrage par les éleveurs”. “A cet égard, ces dernières années ont été marquées par une augmentation spectaculaire du commerce de cette espèce, notamment en Asie pour la fabrication des meubles de bois rose”, soulignent-ils. “Si la négociation peut servir de base à l’installation des saisonniers dans les localités de coupe, les trafiquants optent, dans la plupart des cas pour la confrontation avec les surveillants forestiers locaux en nombre insuffisant”, indique l’étude. Ils signalent de même que dans la lutte contre cette pratique illicite, “les agents de l’administration forestière, censés les appuyer dans cette lutte, semblent plus intéressés par la recherche de prébendes, un moyen utilisé par les exploitants pour obtenir leur soutien”. “Dans cette partie de lutte aux enjeux importants, les élus locaux se retrouvent à la fois comme acteurs et victimes de la dégradation de leurs ressources territoriales”, ajoutent les auteurs de l’étude. “Dans le cadre de l’expansion de la coupe illicite du bois de vène à destination de la Gambie, expliquent-ils, les exploitants dans un premier temps utilisent la négociation pour parvenir à leurs fins. La collaboration des acteurs locaux est sollicitée durant trois phases importantes de la filière du bois de vène”. Dans un premier temps, “pour s’installer dans les localités où se déroule le trafic de bois, les saisonniers qui quittent leurs villages ont recours à la parenté ou à des cadeaux pour se faire héberger”. “En fait, précisent les deux chercheurs, il s’agit pour la plupart de jeunes ruraux qui disposent de charrettes et d’ânes spécialisés dans le transport du bois à destination des marchés frontaliers”. “C’est le cas également des propriétaires des tronçonneuses qui se déplacent en fonction de l’abondance des massifs forestiers. Pour trouver des tuteurs, ils négocient leur séjour avec des cadeaux comme la participation à la dépense familiale ou en offrant de l’argent liquide au chef de ménage ou notables influents afin de se faire accepter”, font savoir les deux universitaires. “Dans un second temps, après avoir gagné la confiance des villageois, les trafiquants doivent ensuite négocier leur accès aux massifs boisés où les produits ligneux sont les plus abondants. Pour cela, différentes manœuvres sont employées. Les personnes impliquées dans l’exploitation illégale du bois de vène peuvent inciter les résidents des localités qu’ils ambitionnent de conquérir à les rejoindre dans la coupe”, écrivent Baldé et Diouf. Les deux chercheurs indiquent que le discours développé par les trafiquants “insiste souvent sur le fait que si les autochtones n’exploitaient pas leurs forêts, d’autres personnes le feraient à leur place, mieux vaut participer au pillage des ressources arborés et bénéficier des avantages financiers que de ne pas le faire”. Ils estiment que c’est là, “une manière qui leur permet de s’installer dans les villages nouvellement envahis par l’exploitation du bois car sans la participation des habitants, il est difficile pour eux de mettre en œuvre leur projet”. “Enfin, pour convoyer leur bois dans les marchés frontaliers, les trafiquants qui engagent des charretiers se retrouvent également dans une position qui les contraint à négocier leur passage avec les agents des commissions environnementales établies par les deux municipalités”, soulignent les auteurs de l’étude. Ils ont aussi relevé des arrangements autour de l’exploitation illicite de bois de vène dans cette partie sud du Sénégal. “Les alliances entre trafiquants et acteurs locaux (populations, élus, notables et surveillants forestiers) sont monnaie courante dans le cadre de l’illégalisme”, avancent-ils. Selon Baldé et Diouf, les exploitants “font preuve d’habileté pour maitriser les personnes les plus influentes de l’arène locale, tout en tissant de bonnes relations avec les agents forestiers qui constituent une sérieuse menace pour la pérennité de leur négoce”. Ils estiment que “dès lors, dans la pratique, les arrangements prennent des formes diverses et impliquent des alliances multiples où l’enjeu essentiel demeure la captation de la rente forestière”. Les chercheurs soutiennent que depuis quelques années, les communes de Badion et de Kandia sont “le lieu d’affrontements de nombreux acteurs dont l’objectif principal vise à capter les gains issus de l’exploitation illicite du bois de vène”. “Cependant, relèvent-ils, ce qui est frappant dans cette dynamique, ce sont les relations que les différentes forces en présence entretiennent dont l’évolution oscille entre négociations, rapports de force et arrangements”. “L’analyse de cette dynamique montre que les exploitants, à travers l’usage instrumentalisé de l’argent, le recours à la force ou encore à la grève, arrivent à contrôler les acteurs les plus influents de la gestion forestière locale et se retrouvent ainsi en position de domination”, concluent-ils.
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