La démocratie est inhérente à une compétition pacifique pour la conquête du pouvoir ou des positions de pouvoirs dans un Etat. Cette compétition s’organise par le biais d’élections qui sont le symbole même de la démocratie.
L’organisation réussie de ces compétitions électorales est toujours perçue comme un signe de vitalité démocratique.
Au Sénégal, pays de longue et riche tradition démocratique, le processus d’organisation des élections a toujours suscité beaucoup d’intérêts et de passions, dans un environnement administratif et juridique qui garantit le respect de l’Etat de droit et des principes de la démocratie.
Les élections législatives du 31 Juillet 2022 ne sauraient déroger à cette réalité, justifiant ainsi toutes les péripéties qui entourent actuellement le déroulement de son processus.
Toutefois, pour l’intérêt exclusif de la démocratie, il s’avère nécessaire de recadrer le débat sur le feuilleton politico-juridique, à la lumière des dispositions pertinentes de la loi électorale et des textes subséquents qui restent, malgré toutes les supputations, les seuls fondements légaux de tous les actes pris par les acteurs (autorités administratives, juridictionnelles, partis politiques ou coalitions de partis engagés dans le processus).
Sans avoir la prétention de me substituer ni aux autorités administratives compétentes ni aux juridictions chargées de dire le droit, je livre, à travers les développements ci-dessous, ma part de vérité dénouée de tout esprit partisan.
I- LES IMPLICATIONS JURIDIQUES DES CAS DE YEWWI ASKAN WI
A. Par rapport à la liste proportionnelle titulaire incomplète
Suite à la notification par la DGE (Direction générale des Elections) aux fins de remplacement d’un candidat frappé d’inéligibilité sur la liste proportionnelle titulaire, conformément à l’article 179 de la Loi électorale, le mandataire de YEWWI ASKAN WI a investi une personne qui l’est déjà sur la liste proportionnelle suppléant.
La vérité est que ce remplacement, même s’il intervient dans les délais légaux ne saurait être effectif au motif que la double investiture est proscrite par la loi électorale en son article 173 alinéa 3.
Seulement, à l’opposé d’une interprétation stricto sensu de cette disposition comme semble le faire certains, il convient de se référer à l’arrêt de la Cour Suprême n° 31 du 24 juin 2014 pour se rendre compte que l’article concerne aussi bien les deux types de scrutin (majoritaire et proportionnel) que leurs composantes (titulaire et suppléant) qui sont donc susceptibles, séparément, de connaître des sorts juridiques différents.
Ceci a aussi comme conséquence immédiate, le non-respect des dispositions de l’article 178 alinéa 1 qui rend irrecevable toute liste incomplète (en l’espèce liste proportionnelle titulaire qui manque un candidat à la 26e position).
Etant donné qu’on ne peut imaginer, en vertu du principe de prééminence et des liens de dépendance qu’elles entretiennent ,une liste proportionnelle suppléant sans titulaire, il va s’en dire que la liste proportionnelle (nationale) de YEWWI ASKAN WI est irrecevable.
Aussi, contrairement à ce que veulent faire croire cette coalition et ses experts souteneurs, aucune autre possibilité de régularisation n’est prévue par la loi électorale ; la coalition YEWWI ASKAN WI ayant déjà procédé au remplacement du candidat inéligible pendant le délai de trois jours prévu à l’article 179.
Les dispositions de l’article LO 185 ne sont pas non plus applicables puisqu’elles ne concernent que les cas de remplacement pour cause d’inéligibilité d’un candidat (lié à son statut professionnel, pénal et à l’état civil) ou de décès, intervenus seulement entre la date de signature de l’arrêté du Ministre en charge des elections publiant les déclarations reçues et la veille du scrutin à zéro heure.
Par conséquent, le régime juridique du nombre de candidat à investir sur la liste se substitue au régime juridique de l’inéligibilité qui devient caduc car la régularisation n’a pas été adéquate (impossibilité pour le candidat de substitution de s’inscrire sur la liste proportionnelle titulaire du fait qu’elle est déjà présente sur la liste proportionnelle suppléant).
B. Par rapport au non-respect de la parité absolue homme femme sur la liste majoritaire du département de Dakar
Il ne sera mis en exergue que les actes en conflit avec la loi électorale, abstraction faite de toutes les péripéties ayant été à l’origine de cette situation aux conséquences juridiques dommageables pour la coalition YEWWI ASKAN WI.
En effet, l’absence de parité absolue a été unanimement constatée et reconnue même par la coalition YEWWI ASKAN WI au bout d’un méli-mélo indescriptible ayant cristallisé toutes les attentions.
Cette entorse à la loi électorale a justifié le rejet par la Commission de réception créé au sein de la DGE, de sa liste majoritaire du département de Dakar.
Ainsi, les possibilités de corrections se sont heurtées aux dispositions de l’article 179 qui ne prévoient les cas de remplacements que pour les candidats inéligibles ou lorsqu’il s’agit de substitutions de pièces périmées ou comportant des erreurs matérielles, à l’exclusion d’une démission ou d’un désistement.
En définitive, c’est en bon droit que la DGE a déclaré l’irrecevabilité de la liste de candidature de YEWWI ASKAN WI pour le scrutin majoritaire du département de Dakar.
II- LA SITUATION JURIDIQUE
DE BENNO BOKK YAAKAAR
A. Pour ce qui concerne le dossier de candidature relatif au parrainage
Certains acteurs y compris les coalitions concurrentes ont évoqué l’irrecevabilité du dossier de parrainage de la coalition BENNO BOKK YAAKAAR pour « dépassement du maximum requis ».
Pourtant, aucun élément factuel et juridique ne vient étayer cette position :
- d’abord, la décision de validité prise par la DGE qui dispose exclusivement d’une compétence organique et matérielle trouve son fondement à l’article 6 de l’arrêté n° 00527 du 22 avril 2022 portant mise en place d’un dispositif de contrôle des parrainages en vue des élections législatives du 31 juillet 2022 qui considère nul et non avenu le surplus de parrainage déposé, pour ne retenir, comme base de calcul, que le maximum prévu par les textes, correspondant exactement au cas de BENNO BOKK YAAKAAR (55.328 parrains déposés, 55327 retenus) ;
- ensuite, l’arrêté en question n’est en conflit avec aucun autre texte (constitution, loi organique, etc……), ce qui exclut toute analyse basée sur la hiérarchie des normes ;
- enfin, la jurisprudence Malick GACKOU est inopérante en l’espèce en ce sens que le juge constitutionnel seul compétent pour le contrôle des opérations relatives aux élections présidentielles, a déclaré irrecevable sa candidature ,non pas pour cause de dépassement du nombre maximum requis, mais plutôt pour insuffisance du nombre de parrains constatée après vérification de la totalité du stock fourni (lire intégralement la décision au lieu de se limiter seulement à une analyse partielle qui dénature complétement sa teneur).
B- Relativement à l’absence de parité sur la liste proportionnelle suppléant
Le mandataire de la coalition YEWWI ASKAN WI a fait part, de la constatation, après vérification, du non-respect de la parité sur la liste proportionnelle suppléant de la coalition BENNO BOKK YAAKAAR et conclu « au rejet de toute la liste nationale ».
Il convient de retenir avec vigueur que même si la violation de la parité serait établie, ceci n’entache en rien juridiquement la validité de la liste nationale de BENNO BOKK YAAKAAR.
En effet, dans l’arrêt n° 31 du 24 juin 2014, le juge de cassation (Cour Suprême à l’époque), a admis l’irrecevabilité ou la validité partielle d’une liste proportionnelle titulaire ou suppléant.
Ainsi, au regard de cette jurisprudence, l’illégalité de la liste proportionnelle suppléant de BENNO BOKK YAAKAAR pour non-respect de la parité n’entraine pas celle de la liste proportionnelle titulaire qui justifie le maintien de sa liste nationale.
De ce point de vue, le commentaire que Ndiaga SYLLA, « expert électoral » a fait de l’arrêt de la Cour Suprême est sujet à confusion au détriment de BENNO BOKK YAAKAAR. Il est vrai que dans l’exposé des motifs, le juge de cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’Appel rendant irrecevable la liste proportionnelle titulaire de AND DEFAR THIES pour non-respect de la parité car étant conforme à la loi électorale, donc au droit.
Toutefois, à la question juridique qui est de savoir s’il est possible de déclarer partiellement irrecevable une liste proportionnelle, la Cour Suprême a répondu par l’affirmatif en estimant que la Cour d’Appel, en annulant tout le dossier de candidature de AND DEFAR THIES, n’a pas dit le droit.
Appliquée au cas de BENNO BOKK YAAKAAR, cette décision veut tout simplement dire que sa liste proportionnelle suppléant incriminée doit être déclarée irrecevable, à l’exclusion de la liste proportionnelle titulaire (liste nationale).
Cela se justifie amplement du fait qu’il n’existe pas une symétrie des positions entre la liste proportionnelle titulaire et la liste proportionnelle suppléante.
C’est justement cette vérité juridique que Monsieur Ndiaga SYLLA, veut dénaturer à travers un commentaire partiel de l’arrêt de la Cour Suprême qui consacre une jurisprudence qui reste le fondement légal du maintien de la liste nationale de BENNO BOKK YAAKAAR.
En conclusion, au-delà des passions et des positions partisanes, la vérité juridique est que :
- la liste proportionnelle nationale de YEWWI ASKAN WI est bien irrecevable ;
- la liste majoritaire de YEWWI ASKAN WI dans le département de Dakar est aussi irrecevable ;
-les dossiers de parrainage de BENNO BOKK YAAKKAR sont recevables et confirmés par la DGE;
- la liste proportionnelle nationale de BENNO BOKK YAAKAAR est bien recevable.
La loi est dure mais c’est la loi ; donc respectons les règles du jeu, en lieu et place de toute logique politicienne et partisane, et la démocratie ne s’en portera que mieux.
Khadim NDIAYE
Commissaire aux Enquêtes économiques
Responsable Politique APR à Touba
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