L’homme, discret et réservé, se fond dans la masse comme une ombre. El Hadji Mamadou Seck, ce visage peu connu mais à l’esprit affûté, incarne l’humilité du parfait stakhanoviste. Cet ancien d’Areva et d’Arcelor, prodige de la véritable finance, porte en lui une double étoffe : celle d’un technocrate aguerri et d’un stratège ancré dans des convictions solides. Son parcours, taillé dans le roc des défis industriels, a forgé un leader capable de piloter un géant économique au chiffre d’affaires vertigineux. À seulement quelques décennies d’existence, il possède l’expérience des vétérans, ce qui fait de lui une figure incontournable dans le paysage économique sénégalais. Dans cet entretien exclusif accordé à L’Observateur sous le sceau d’un questionnaire strict, le Directeur général de Sococim Industries, d’une éloquence rare et d’une rigueur impressionnante, démêle les fils des grands débats qui secouent la scène économique, éclaire les zones d’ombre sur les défis et opportunités du secteur extractif.
DG, la question somme toute naturelle qui nous vient à l’esprit, c’est de savoir comment se porte aujourd’hui la Sococim ?
La Sococim Industries est à un tournant historique. Fleuron de l’industrie cimentière du Sénégal, elle se trouve dans une phase de croissance. Le contexte découlant du choc post-Covid et de la guerre russo-ukrainienne a fortement impacté nos facteurs de production. Aujourd’hui, nous sommes en train de bâtir une stratégie industrielle consolidante, capable de soutenir notre vision pour le secteur. Il est heureux de constater que Sococim bénéficie de la confiance des partenaires financiers qui ont fait le choix de nous accompagner dans la modernisation de notre outil de production pour améliorer notre service aux clients. Nous venons de boucler un financement complémentaire de 50 milliards FCFA avec Société financière internationale, une filiale du Groupe de la Banque mondiale, après avoir bénéficié, deux ans auparavant, d’une levée de 160 milliards FCFA. Cette confiance des partenaires financiers internationaux est révélatrice du sens et de la portée de notre projet de développement industriel dont le marqueur est le doublement de nos capacités de production.
Quel est l’objectif visé à travers le doublement de vos capacités de production ? S’agit-il d’une option d’expansion vers la sous-région pour conquérir des parts de marchés communautaires ?
Le marché local est notre priorité. Et notre objectif est clair : satisfaire le client sénégalais pour conforter notre leadership intérieur. Certes la sous-région est notre marché pertinent, mais il n’en demeure pas moins qu’avec notre certification CE, la qualité de notre ciment demeure un atout compétitif majeur sur tous les grands chantiers en Afrique. Relativement à nos capacités de production, nous voulons passer de 3,5 millions à plus de 7 millions de tonnes en équivalent Cem II 32,5 par an, grâce à notre nouvelle ligne de production de 6500 tonnes de clinker par jour. Cette option industrielle permettra aussi de répondre à un double impératif : la construction de logements et la réalisation d’infrastructures qui sont au cœur des politiques publiques.
Dans le contexte d’une fiscalité de plus en plus exigeante, quelles sont les stratégies de l’entreprise pour maintenir sa rentabilité sans compromettre ses engagements sociaux ?
Vous parlez là d’un jeu d’équilibre qui est au cœur de la viabilité des entreprises du secteur extractif. Comme rappelé plus haut, du choc d’après-Covid et de la guerre russo-ukrainienne, a résulté une flambée du coût des matières premières. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de consolidation de la relance industrielle, avec une exigence de rentabilité pour faire face à nos engagements aussi bien au plan national qu’international. Il y a une réelle nécessité pour notre partenaire, en l’’occurrence l’Etat central, de créer les conditions dune équité fiscale dans ce secteur afin de nous permettre de jouer pleinement notre rôle à l’export et de répondre aux exigences sociales internes en termes de valorisation des conditions de travail et de respect de nos engagements communautaires. Les chiffres de l’ITIE sont assez illustratifs de notre positionnement dans le secteur minier. Dans le Rapport 2022 de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, Sococim est à 12% du chiffre d’affaires des industries minières alors que pour les impôts et taxes collectés par l’Etat, nous en sommes à 20% de la contribution de tout le secteur. Cela démontre une exemplarité dans le domaine de la contribution fiscale. Sans compter le contenu local qui nous place au 1er rang du volume d’achat auprès des entreprises locales avec 112 milliards décaissés en 2022.
FISCALITE ET CONTRIBUTION ECONOMIQUE
La Contribution économique locale (Cel/Va) a suscité des débats autour de son impact sur les budgets communaux comme celui de Rufisque. Pensez-vous que le système actuel favorise un équilibre entre développement local et compétitivité des entreprises ?
La récente sortie du ministère en charge des collectivités territoriales a eu le mérite de clarifier les termes du débat qui a été posé par certaines municipalités. Pour le cas spécifique de Rufisque, il y a lieu de comprendre que Sococim Industries n’est pas exemptée de taxes. Nous nous sommes engagés à honorer les impôts locaux pour un montant 1,5 milliard Cfa, alors que les dispositions de l’article 63 du code minier de 2003 nous garantissent une exonération totale d’impôts comme pour tous les autres acteurs.
Quels ajustements à la fiscalité minière et industrielle préconisez-vous pour soutenir une croissance inclusive tout en permettant aux entreprises comme Sococim de maintenir leur rentabilité ?
Il y a lieu de préciser que l’Etat est dans une logique d’analyse globale de la fiscalité minière. Nous trouvons que l’approche est bonne, la fiscalité étant une obligation pour toute entreprise citoyenne. Récemment, l’Etat a renoncé à 2000 francs de taxe sur chaque tonne pour faire baisser le prix du ciment. Nous continuerons à accompagner l’Etat au bénéfice des populations qui méritent des matériaux de construction accessibles et de qualité. La seule contrainte que je vois réside dans le respect des équilibres économiques pour la sauvegarde de nos activités industrielles. Dans la mesure où l’entreprise doit être performante pour faire face à toutes ses obligations, y compris fiscales.
L’Etat a fait le choix de la renégociation des contrats miniers. Comment Sococim se prépare-t-elle face à cette échéance inéluctable ?
Aussi bien pour la fiscalité minière que la révision de nos engagements contractuels, la carte de l’équité est le gage de l’égalité des chances pour l’ensemble des opérateurs miniers. Au regard des premiers actes posés par le Gouvernement, nous avons compris qu’il n’y aura ni changement brutal ou unilatéral, il y a une vraie culture du dialogue au Sénégal et cela nous a réussi dans tous les domaines. A cet effet, nous sommes prêts à accompagner l’Etat dans son schéma dévolution et à participer directement aux réflexions au bénéfice de la nation.
Alors que répondez-vous à ceux qui disent que l’Etat a cédé 10% de parts dans le capital de Sococim ?
Le capital de la Sococim a évolué depuis 1948. A ce moment, il n’y avait malheureusement pas encore d’Etat du Sénégal. Savez-vous que la société a été nationalisée puis revendue par l’Etat, à une étape de son histoire. Je ne crois pas que l’Etat ait été, dans un passé récent, actionnaire et je pense qu’une telle cession na pas eu lieu. Jen entends parler dans la presse comme vous. Plus sérieusement, je crois que ce qui s’est passé c’est que, dans le but de développer ce secteur du ciment qui est aujourd’hui très attractif, l’Etat a accompagné au mieux un investisseur privé. Les investissements privés très risqués à l’époque ont permis, depuis les années 2000, de faire passer la production de ciment de l’entreprise de 400 000 à près de 4 millions de tonnes aujourd’hui, d’avoir aujourd’hui un management 100% local à la tête de cette entreprise et d’avoir construit des infrastructures partout au Sénégal et en Afrique. Je crois que le contrat est rempli et ma petite expérience m’a montré qu’il faut toujours tenir ses engagements, ce que nous ferons.
Rufisque dépend beaucoup des recettes fiscales provenant des entreprises. Comment Sococim envisage-t-elle de soutenir durablement la commune, malgré la baisse récente des contributions fiscales ?
Depuis une vingtaine d’années, nous avons injecté près de 30 milliards FCfa dans la ville de Rufisque. Aujourd’hui, nous pensons qu’au regard des contraintes budgétaires, il faudra privilégier des investissements à forte inclusion sociale. Ainsi, une approche participative avec l’ensemble des acteurs permettra de discuter des options d’investissements suivant les priorités dégagées par les collectivités territoriales. Ainsi, la contribution de Sococim pourra impacter véritablement le développement local afin de combler les effets induits par la perte de recettes. Nous y travaillons, je laisserai la municipalité et les autorités communiquer sur cela.
PERSPECTIVES D’AVENIR
Quelles sont les perspectives de Sococim pour les prochaines années ?
Nous avons un ambitieux programme décliné autour d’une vision Horizon 2028. Il s’agit pour Sococim de consolider son leadership sous-régional en étant à la pointe du progrès industriel et commercial. Il ne s’agit pas d’une ambition personnelle, mais d’une ambition partagée par une génération de cadres dirigeants sénégalais très compétents et engagés. Par ailleurs, il y a lieu de noter que ce projet privilégiera l’innovation technologique, l’efficacité énergétique et la réduction de l’impact environnemental. Ainsi, les problématiques relatives aux triptyques Hygiène-Sécurité-Environnement ; Qualité-Vie-Travail et aux Ressources Humaines, seront les marqueurs de ce programme. Gens du terroir, notre rapport aux talents locaux sera privilégié dans le cadre de la déclinaison de notre projet managérial.
Les avancées technologiques dans le secteur du ciment – comme le ciment bas carbone ou à forte résistance – font-elles partie de vos priorités stratégiques ?
L’amélioration de l’efficacité énergétique sera au cœur de notre montée en puissance à partir de 2025. Avec la mise en service du FOUR 6, la cimenterie pourra, à terme, utiliser 70% de combustibles de substitution contre 30 à 40% actuellement. Car, nous avons investi près de 200 milliards FCfa pour changer nos lignes de cuisson afin de produire un ciment bas carbone à partir de 2025. Cest la preuve que nous sommes en train de bâtir une filière ciment à la fois verte, propre et à forte valeur ajoutée.
Peut-on s’attendre à une baisse du prix du Sénégal ?
Le prix du ciment est administré au Sénégal. La récente baisse de 2000 FCfa sur la tonne a été acceptée par l’ensemble des cimentiers. Certes, nous avons le ciment le plus compétitif de la sous-région, mais les contraintes liées à la volatilité des prix des matières premières sur le marché international, nous imposent une vérité des prix. Mais, il est clair que le ciment décarboné pourrait coûter moins cher avec des matériaux locaux.
DEVELOPPEMENT DURABLE ET RESPONSABILITE SOCIALE
Quels sont les efforts de Sococim en matière de développement durable, notamment dans la réduction de son empreinte carbone ?
Très tôt, nous avons pris conscience de l’impact environnemental de nos lignes de production de ciment. C’est la raison pour laquelle, un Plan Climat a été élaboré en 2019 pour accélérer la modernisation de nos installations afin de réduire notre empreinte carbone. Le FOUR 6 nous permettra de renforcer notre efficacité énergétique avec l’utilisation de combustibles alternatifs avec comme objectif deux fois moins de CO2 par tonne d’ici à 2030. Ce projet emblématique de notre leadership, en termes d’innovation et de technicité, a mobilisé près de 2000 personnes dont 90% de personnel local pour près de 4 millions d’heures de travail. D’autres initiatives majeures ont été prises récemment avec la signature d’une Convention avec la Sonaged pour créer une unité de valorisation des déchets. Avec la Sonacos la récupération de la coque d’arachide constitue également une niche pour nos besoins annuels estimés entre 100 et 200 000 tonnes. Tout comme la production de combustible à base de Typha avec la Soged. L’autre défi réside dans la couverture énergétique avec 7 MW de solaire disponibles. Notre prochaine étape, c’est de doubler la capacité de cette centrale. Le développement du Gaz sera aussi une belle opportunité en termes de baisse des émissions de CO2.
Comment Sococim anticipe-t-elle les réglementations environnementales de plus en plus strictes au Sénégal et à l’échelle régionale ?
Sococim est une entreprise citoyenne. Nous avons l’obligation d’être à la pointe du combat pour le respect des normes environnementales. D’autant plus qu’au-delà du Sénégal et de la sous-région, elles restent une conditionnalité pour lever des fonds auprès des bailleurs. Et aujourd’hui, si la Société financière internationale nous accompagne, c’est parce que nous sommes en conformité avec nos obligations environnementales. Nous sommes attentifs à l’exigence des populations, nous avons des axes d’amélioration que nous devons continuer à suivre.
La SFI vous octroie une rallonge de 49 milliards FCfa après avoir injecté plus de 80 milliards en 2023. C’est dire que vous avez la confiance des bailleurs, malgré la conjoncture du secteur ?
Même si la conjoncture est très dure pour le secteur des Btp, nous restons confiants car les fondamentaux sont bons. A’ujourdhui, nous achevons un investissement de près de 200 milliards FCfa avec un nouveau prêt de 49 milliards FCfa pour parachever notre transition industrielle. Ce prêt, qualifié de vert en 2023, a été une première en Afrique. Aujourdhui, nous avons l’obligation de conforter le leadership de ce fleuron industriel rufisquois. En tant que fils du terroir lébou, j’y tiens énormément.
Sococim, c’est aussi sa Fondation qui œuvre dans le domaine social. Comment appréhendez-vous la dimension Rse au sein de l’entreprise ?
La Responsabilité sociétale environnementale (Rse) est au cœur de notre projet industriel. Qu’il sagisse de la Fondation Sococim ou de la Direction Rse, nous avons fait le pari d’investir en partageant les fruits de notre croissance avec les communautés. Autant au sein du département de Rufisque qu’à l’échelle du territoire national. Je crois beaucoup à la solidarité qui est une des valeurs cardinales de notre entreprise. A ce titre, nous avons un dialogue permanent avec les communautés impactées par nos activités afin d’accompagner leurs initiatives de développement local.
PAPE SAMBARE NDOUR
L’OBSERVATEUR
Votre avis