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Osons l’éducation : De la nécessité de revoir les conditions d’accès aux concours et à certaines professions (Par Mamadou Bamba Tall)

Le système éducatif sénégalais est une copie conforme des tares et défauts du système français. Le monde évolue et l’imaginaire de l’ex-colonisé, le Sénégalais, semble stagner. En effet, qu’il s’agisse du contenu de nos programmes, des rapports hiérarchiques en milieu scolaire, de l’introduction des langues vernaculaires dans l’enceinte de l’école, et de beaucoup d’autres aspects de notre éducation qui continuent d’avoir une place de choix dans notre milieu de vie scolaire – tout en étant objet de discorde entre nous – tout ceci date du temps où les parents et les arrière-grands-parents de certains d’entre nous récitaient aveuglément avec le plus grand sérieux du monde, dans leur cours d’histoire que leurs ancêtres étaient des Gaulois. Incapables d’arrimer pleinement nos propres besoins existentiels et identitaires à l’évolution du monde et à nos réalités propres, nous n’avons jamais osé amorcer le virage de folie qui nous guérirait définitivement de nos migraines et de nos troubles digestifs en éducation.

Les Français sont nos référents en matière d’éducation pour ne pas dire nos maitres. Qu’on enlève à notre système éducatif tout ce que nous leur devons et notre univers scolaire s’écroulerait comme un château de cartes. Rappeler cette vérité ici est moins un souci de décrier le passé que de mettre en exergue notre refus d’évoluer par nous-mêmes sans qu’on nous prenne par la main. Le monde actuel est un hub ouvert où tout le monde est capable de parler à tout le monde. On est donc bien loin de ce temps où pour pouvoir parler aux autres peuples, notre pays devait suivre du regard la France et attendre son hochement de tête, signe de son approbation, pour oser aller de l’avant.

Cette même France qui s’est beaucoup inspirée des Latins et des Grecs pour se doter d’une éducation féconde et virile, cette France fière de ses ancêtres gaulois refuse de se figer dans le temps en ne se fiant qu’aux fondements de la vision de Jules Ferry sur l’école. Elle refuse de reposer son avenir uniquement sur ses beaux acquis d’hier. Chaque année, elle apporte des modifications à son système éducatif quand la situation l’exige. Les Français sont à l’affût des nouvelles théories émergentes en éducation. Ils s’inspirent de ce qui marche à travers le monde, et à contrario, ils délaissent sans regret ce qui ne correspond plus au besoin du peuple ou qui n’est plus adapté au temps présent.

Mais nous Africains, et particulièrement Sénégalais, que faisons-nous? Nous marquons le pas à presque la même cadence : les idées fortes que le Colon nous a laissées après 1960 continuent d’être les lignes directrices de notre enseignement en 2024. En d’autres mots, il est possible de relever beaucoup d’incongruités de notre éducation qui relève de notre mimétisme et de notre incapacité à oser le changement.

Pour l’accès à la fonction publique sénégalaise, pour ne prendre que cet exemple, le critère d’âge constitue un écueil insurmontable pour bon nombre de jeunes gens qui se sont battus durement pour obtenir leurs diplômes, mais qui finalement se rendent compte que beaucoup de concours ne sont plus à leur portée à cause leur âge. Avec cette discrimination pas toujours justifiable, non seulement on perd des hommes et des femmes qui auraient pu être des ressources humaines de qualité, mais on crée aussi une situation d’injustice qui ne se justifie pas.

Pourtant, au Sénégal, la notion de « jeune » est un concept bien élastique. En effet, beaucoup de personnes dans la quarantaine sont considérées dans nos quartiers comme étant de jeunes gens. D’ailleurs, il faut regarder ceux qui s’activent dans le milieu Navétane pour mieux comprendre le sens de nos propos. Aussi bien au niveau des ODCAVi que des ONCAVii, on retrouve beaucoup de dirigeants du mouvement national de jeunesse ayant plus de 45 ans. Tout ceci pour dire que socialement et culturellement, il y a une sorte de déphasage paradoxal entre l’image que la société se fait d’une personne jeune et les exigences de notre administration publique qui place la barre très basse pour admettre en son sein de « jeunes » Sénégalais qui aspirent à travailler pour elle.

En France et dans beaucoup de pays développés, l’absence de limite maximale d’âge pour l’accès aux concours est devenue aujourd’hui la règle dans la fonction publique, même si quelques exceptions sont maintenues dans certains cas spécifiques. Nous ne comprenons pas donc pourquoi, on continue au Sénégal de maintenir si basse la limite d’âge pour accéder à la plupart des concours de la fonction publique. Cette limitation qui recale les postulants est d’autant plus incongrue qu’il y a peu de solutions alternatives prévues pour les diplômés ayant plus de 30 ans.

Au demeurant, il est facile de constater que bon nombre de jeunes sénégalais, la plupart issus du monde rural, mettent plus de temps qu’il en faut pour obtenir leurs diplômes universitaires. Un retard dans les études dû en grande partie aux conditions de vie difficile de leurs familles qui manquent presque de tout. Ces jeunes très méritants au regard de leur parcours et des défis surmontés, au lieu de les soutenir pour leur persévérance dans les études, on tue leur ultime espoir de travailler dans la fonction publique en incriminant leur âge.

Nous avons des façons de faire archaïques et inadaptées à l’évolution actuelle du monde. Par ce fait même, nous oublions qu’un individu peut se découvrir tardivement une vocation ou un intérêt particulier pour une profession dans l’administration publique. Ailleurs, en de pareilles circonstances, il est possible de se réorienter et de changer complètement de carrières. Pour illustrer nos propos, nous n’avons pas besoin de chercher loin, la communauté sénégalaise au Canada regorge de talents qui travaillent dans des secteurs d’activités de pointe qui n’avaient rien à voir avec leur formation initiale au Sénégal. Nous pouvons donner en exemple le cas de plusieurs Sénégalais qui étaient des enseignants du primaire et qui sont devenus au Canada des comptables, des informaticiens, des banquiers, des gestionnaires, etc. il s’agit de personnes qui, s’ils étaient restés au Sénégal, auraient été condamnées à renoncer à leur rêve pour des raisons liées à la limite d’âge ou encore par le manque de souplesse de nos structures à accueillir des reconversions professionnelles.

C’est dans ce même sillage des limites d’âge imposées çà et là que nous dénonçons particulièrement l’âge maximal pour le service militaire fixé à 24 ans. Cela n’a aucun sens de notre humble point de vue. Nous ne voyons pas le moindre argument à l’état actuel du monde qui pourrait le justifier. Mieux déverrouiller ce plafond de 24 ans permettrait à beaucoup de jeunes sénégalais d’intégrer l’armée à la fin de leurs études universitaires sans passer par des concours très sélectifs d’officiers ou de sous-officiers où les sélectionnés se comptent du bout des doigts. Cette exigence de notre armée est évidemment plus aberrante quand on se compare à des pays comme le Canada. En effet, plusieurs Sénégalais parviennent sans difficulté à intégrer l’armée canadienne, là où ils n’auraient jamais pu porter la tenue militaire dans leur propre pays d’origine à cause de leur âge.

Au Canada, un Sénégalais âgé de 50 ans peut s’enrôler dans l’armée, alors qu’au Sénégal à 25 ans la même personne est très vieille pour être militaire. Quelle est la logique dans tout ça? C’est à nos officiers de s’expliquer, car en ce qui concerne les Canadiens la réponse est claire, nette et précise : « Il n’y a pas de discrimination par rapport à l’âge. Si les gens sont aptes médicalement et qu’ils sont capables de faire le travail, il n’y a rien qui les empêche de relever ce défi là. »iii Bref, nous devons nous regarder dans le miroir et revoir sans complaisance certaines de nos façons de faire.

Toujours en restant dans l’univers des examens et concours au Sénégal, il est possible de décrier d’autres anomalies. Notre pays, par exemple, ne promeut pas l’égalité des chances entre les individus. Cette affirmation, nous pouvons l’étayer de plusieurs façons et sous plusieurs angles, mais nous nous en limiterons ici uniquement au cas criard des personnes en situation de handicap qui sont laissées à eux-mêmes. Il n’existe pas de programme d’accès à l’égalité permettant à certaines personnes d’exercer leurs compétences et d’occuper des emplois qu’elles n’auraient pu jamais obtenir autrement. Pour favoriser l’intégration des personnes en situation de handicap dans tous les domaines de la société, au même titre que tous les citoyens, ça prend des mesures adaptatives auxquelles notre État n’est même pas prêt à songer.

Le droit à l’égalité fait partie des valeurs fondamentales des sociétés modernes. Mais au regard de la manière dont fonctionne notre pays, on dirait que l’État n’en a cure, ce n’est pas de ses préoccupations de créer les conditions minimales d’égalité entre ses citoyens. La véritable égalité exige que des personnes ou des groupes en situation de vulnérabilité soient traités différemment afin de respecter les différences entre individus et de répondre à leurs besoins.

Au Sénégal, avoir un handicap semble être une fatalité en soi, alors que dans d’autres sociétés cela ne constitue pas une quelconque malédiction en soi. Quelles que soient les limites physiques de l’individu, il est capable de jouer dans la société un rôle valorisant. Or chez nous on pense qu’être en situation de handicap est une raison suffisante pour tendre la main. L’État ne fait rien de significatif pour accommoder en éducation les personnes en situation de handicap. Ni leurs déplacements ni leur environnement de travail ne sont pas adoptés en fonction de leurs contraintes.

En définitive, nous persistons à croire que notre pays doit s’efforcer d’opérer des ruptures audacieuses pour aller de l’avant. Il est donc temps que le Sénégal mette l’emphase sur une éducation plus inclusive. Les changements nécessaires que doit opérer une société ne tombent jamais du ciel, il est toujours l’œuvre d’hommes et de femmes de bonne volonté qui ont le courage et la conviction de leurs idées. Ce n’est que de cette façon que les changements que nous attendons depuis des décennies pourront se réaliser. Autrement, nous allons continuer de nous leurrer nous-mêmes comme toujours, et comme dit Albert Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. »

Mamadou Bamba TALL

Spécialiste en planification et gestion de l’éducation. Consultant international en Gestion de l’éducation.

Ministère de l’éducation du Québec, Canada.

Cell: 514-604-2263 – bambatall@yahoo.fr

i Organisme départemental de coordination des activités de vacances.

ii Organisme National pour la Coordination des Activités de Vacances.

iii S’enrôler dans l’armée à 51 ans | Radio-Canada

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