« La vie était lente et tendre » est un vœu exaucé : je me suis toujours demandé qui, parmi les nombreux et talentueux écrivains de la FACE, allait enfin retracer la saga de la famille Alpha Ciré tant cette histoire méritait, à mon avis, d’être contée. Plusieurs scenarii s’étaient dessinés et finalement…
Voilà pourquoi, à l’annonce de la parution de l’ouvrage de Mam Cheikh une joie incommensurable et un bonheur infini m’envahirent ; ma joie s’est mêlée au plaisir de la dégustation de ce récit que retraçait une plume puissante qui nous a toujours habituée à une écriture policée, fine et raffinée.
C’est un véritable délice ou régal, on se délecte véritablement tout au long de l’ouvrage ; de la page de couverture jusqu’ à la dernière page et on ne le referme qu’avec une seule envie, celle d’avoir le tome 2, puis le tome 3…
A la lecture du livre de Fadel Dia, une immense nostalgie nous envahit, nostalgie de ce Fouta que nous n’avons pas connu, maintes fois raconté par nos mères, pères, oncles et tantes grand parents et même aïeuls. Ce Fouta que nos parents ont tenté de reproduire en miniature dans l’espace urbain ici à Dakar, à Saint-Louis, Kaolack ou Thiès et autres grandes villes du pays.
Certes pour la génération née après les indépendances, la reconstitution du puzzle des personnages dans l’ouvrage pouvait s’avérer être un exercice difficile voire périlleux sans le secours des seniors et le recours à leur mémoire lointaine. Il est vrai que certains des faits relatés dans l’ouvrage sont familiers à la plupart des jeunes qui ont grandi sous le harnais des témoins de cette époque ; mais également d’autres faits que l’auteur a peut-être intentionnellement occultés. Il est vrai que tout ne se dit pas surtout de la part d’un homme dont le modus vivendi est celui adopté par les « taiseux ». Ceux-là même, qui « tournent la langue sept fois dans la bouche avant de décider de se taire » pour reprendre l’heureuse formule de l’éloquent Samba Ka.
Parmi ces histoires, celle de Mam Padhèle -dont j’avais entendu parler pour la première fois lors du rappel à Dieu de Saidou Nourou Ibrahima Wone- prenait une autre tournure à la lecture du livre et j’ai mieux compris parallèle que Mam Assietou Daha tentait de faire à l’époque. Mam Padhèle si lointaine dans le temps puisque grand-mère de mon arrière-grand-mère et pourtant au souvenir encore vivace…
Quand on a été élevé par Sala Poulho puis vécu en proximité avec Badido Allah -petites filles de Marieme Cheikh dite Dédé Maodo, l’ainée d’une génération- certains des récits et certains personnages du livre nous sont plus ou moins familiers. Mais, sous la plume de Cheikh Fadel Dia, les histoires prennent une autre couleur et ont une autre saveur. Le narrateur utilise un style qui nous porte au cœur de l’action comme si nous avions nous-mêmes assisté au déroulement des différentes scènes racontées dans ce livre (Barka Ba, Mam Kany, Diouf… ).
Avec ce livre, nous avons beaucoup appris certes sur l’histoire de la famille Alpha Ciré, les peuls devenus « torobé » malgré leur résistance mais aussi et surtout celle des « foulbé », ces buveurs de lait à la voix nasillarde comme aimait à dire ironiquement une de mes tantes en parlant des « Nduetbhé ».
Les histoires de notre passé sont empreintes d’un profond humanisme (relation entre maitres et esclaves de case ou page pour parler comme Racine Aboubacry), d’une affection débordante (le hayyo, ode à l’amour) et d’une tendresse mesurée et discrète (entre frère et cousin germain) ; le tout enrobé dans un système de valeurs profondément enracinées dans l’inconscient collectif : sens élevé des responsabilités, droit d’ainesse, protection des couches vulnérables, solidarité , morale religieuse (scène de récitation de coran après guérison du grand- père de l’auteur).
Au total, en lisant ce récit de vie où l’auteur réussi la prouesse d’une autobiographie sans parler de lui, l’on est habité par divers sentiments et l’on passe :
- de l’émerveillement des contes de fées (les retrouvailles de Dieynaba Alpha avec sa famille),
- à la douceur (de l’environnement du fleuve, relations affectueuses),
- au suspense (l’auteur perdu à Dakar),
- à l’euphorie(la découverte de la pâtisserie Gentina),
- à l’hilarité (le «coolo» et l’aristocrate, le petit fils et son grand père marabout ),
- à la tristesse (le père qui perd son fils adulte, à l’âge des promesses),
- à la tendresse (la boulette de couscous chaud, scène qui m’a littéralement fait pleurer cadeaux de la coépouse juchée sur la vache pour un long voyage )
- au drame (décès de trois sœurs en couches et je comprends l’excès d’attention dont nous entourait nos mamans lors de nos grossesses et le soulagement à l’accouchement ainsi que les questions anxieuses « o dadhi » ? « o dandi » ? et les prières ferventes « yo niamde wadhehene » ! )
La famille Alpha Ciré est un monde à part, tentaculaire, qui phagocyte ou qui tente de phagocyter tous ses alliés qui fait face à l’altérité de la famille des « Nduetbhé » qui sans tambours ni trompettes assume tout simplement, tout doucement.
La vie était tendre et douce et lente. Rythmée par la joie de vivre ; la vie suivait son cours, entrecoupée de drames. C’est l’histoire de la vie avec ses différents personnages chacun avec ses qualités et ses défauts mais pétris dans le même moule et mu par la même force au service de la préservation de « la continuité du lait » pour parler comme le regretté Hamidou DIA.
Ce livre est également une leçon de vie pour tout lecteur, l’on y apprend TOUT :
La sociologie (les régulateurs sociaux, l’organisation en castes de la société), l’anthropologie , la psychologie, la linguistique (locutions pulaar), la médecine (coma post traumatique, maladies génétiques), l’histoire (du Fouta-Toro sur près de deux siècles, de la colonisation) et la géographie (découpage administratif du Fouta), le vocabulaire et l’orthographe (acquisition de nouveaux mots, termes). L’éducation religieuse (la jurisprudence) et l’éducation formelle n’étaient pas en reste avec le portrait d’un des plus grands enseignant éducateur de son temps : Issa Mariéme Cheikh Hamidou Alpha Ciré Kane.
Ce livre est un éclairage pour tout membre de la famille Alpha Ciré et la famille Dia de Nduetbhé. En effet, il nous permet de mieux cerner la personnalité des différents personnages ainsi que leurs descendants (sans se risquer à la psychanalyse, là également le préfacier Abdoulaye Elimane Kane avait averti !). Les hal pulaar résume toute la génétique humaine en une phrase : « so nedho ne tague legnol fof diodjinthe ». On peut regretter dans ce livre, l’absence de certains personnages mythiques de la famille.
Parmi les leçons apprises sur certains concepts à la lecture de cet ouvrage, nous noterons : l’approche genre, l’intergénérationnelle et la masculinité positive. Ces concepts que le monde moderne croit avoir inventé alors qu’ils étaient déjà en vogue dans le Fouta de nos aïeuls.
Concernant l’approche genre, la place centrale de la femme dans la vie sociale avec une répartition bien équilibrée des tâches est mise en exergue dans ce récit et la scène des femmes dans le fleuve est ici très éloquente (Peekaan).
Quant à l’inter-générationalité, elle permettait dans nos sociétes traditionnelles de prévenir les maladies neurodégénératives des seniors liées en partie à l’isolement social que notre génération croit compenser avec les biens matériels et les billets de banque.
Pour ce qui est de masculinité positive, l’auteur nous montre tout le respect et les attentions dont les hommes entouraient leurs mères, sœurs et épouses.
La lecture de cet ouvrage nous permet donc d’illustrer parfaitement ces concepts dans le quotidien de nos aïeuls et nous montre que nous n’avons rien à envier aux sociétés occidentales. « La vie était tendre et lente » est tout simplement délicieux et savoureux !
Dès lors : revisiter notre passé est un impératif pour le développement durable.
Quand je referme le livre sur la dernière page une question me taraude l’esprit : comment une perle, un chef d’œuvre pareil a pu être imaginé pensé, construit, rédigé concocté par un « fou » !
Si Hamady Sala était encore parmi nous il aurait demandé à Samba Sala de rédiger une note de lecture qui aurait été forcément succulente sur ce livre majeur sur l’histoire de familles. Et bien sûr Samba Sala , présent aussi, se serait exécuté au nom du droit d’ainesse, au nom de l’affection fraternelle sans limite qui les unissait, au nom des liens de sang mais surtout de lait. Effectivement le « wadhi Kossam » était le glas de toute requête car cette injonction signifiait que contre vents et marées il fallait s’exécuter, il n’y avait plus aucune alternative.
Merci infiniment Mam pour ce beau cadeau aux « Nduétbhé », aux « yirlabje » et pour la promotion du pulagu ! Et un Grand Bravo pour ta prouesse : écrire une autobiographie sans presque jamais parler de soi ne peut être qu’œuvre de Fou.
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