Avant-propos
À l’ouverture de la Conférence de signature, par des personnalités politiques de haut rang, de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et des protocoles qui s’y rapportent, qui s’est tenue à Palerme (Italie), en décembre 2000, la communauté internationale a montré sa volonté politique de relever un défi mondial par une initiative mondiale. Si la criminalité traverse les frontières, la répression doit les traverser. Si l’état de droit est sapé non pas dans un, mais dans beaucoup de pays, alors ceux qui le défendent ne peuvent se limiter à des moyens purement nationaux. Si les ennemis du progrès et des droits de l’homme cherchent à exploiter à leurs fins l’ouverture et les possibilités que leur offre la mondialisation, alors, nous devons exploiter ces mêmes possibilités pour défendre les droits de l’homme et vaincre les forces du crime, de la corruption et de la traite d’êtres humains. L’un des contrastes les plus saisissants du monde actuel est le gouffre qui sépare le civil de l’incivil. Par “civil”, j’entends civilisation: longs siècles d’un apprentissage sur lequel nous fondons le progrès. Par “civil”, j’entends aussi tolérance: le pluralisme et le respect de la diversité des peuples du monde, dont nous tirons notre force. Et enfin, j’entends la société civile: les groupements de citoyens, les entreprises, les syndicats, les professeurs, les journalistes, les partis politiques et tant d’autres, qui ont un rôle essentiel à jouer dans la conduite de toute société. Cependant, déployées contre ces forces constructives, en nombre toujours plus grand et dotées d’armes toujours plus puissantes, sont les forces de ce que j’appelle la “société incivile”. Ce sont, entre autres, les terroristes, les criminels, les trafiquants de drogues, les trafiquants d’êtres humains, qui défont le bel ouvrage de la société civile. Ils prennent avantage des frontières ouvertes, de la liberté des marchés et des progrès techniques qui apportent tant de bienfaits au genre humain. Ils prospèrent dans les pays dont les institutions sont faibles et ne montrent aucun scrupule à recourir à l’intimidation ou à la violence. Impitoyables, ils sont l’antithèse même de tout ce que nous considérons comme civil. Ils sont puissants, représentent des intérêts solidement enracinés et ils ont derrière eux une entreprise mondiale qui vaut des milliards de dollars, mais ils ne sont pas invincibles. Dans la Déclaration du Millénaire qu’ils ont adoptée lors de leur réunion au Siège de l’Organisation des Nations Unies, en septembre 2000, les chefs d’État ont réaffirmé les principes qui sous-tendent nos efforts et qui devraient être un encouragement pour tous les défenseurs de l’état de droit. Ils ont en effet déclaré que “les hommes et les femmes ont le droit de vivre et d’élever leurs enfants dans la dignité, à l’abri de la faim et sans craindre la violence, l’oppression ou l’injustice”.
Au Sommet du Millénaire, les dirigeants des pays du monde entier ont déclaré que la liberté — vivre à l’abri de la peur et du besoin — était l’une des valeurs essentielles du XXIe siècle. Pourtant, le droit de vivre dans la dignité, à l’abri de la peur et du besoin est encore refusé à des millions de gens dans le monde. Il est refusé à l’enfant qui travaille sous contrat dans un atelier clandestin, au père qui doit offrir un pot-de-vin pour faire soigner son fils ou sa fille, à la femme qui est condamnée à une vie de prostitution forcée. Je crois que la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants que l’on force à travailler, que l’on exploite, y compris sexuellement, est l’une des pires violations des droits de l’homme à laquelle les Nations Unies sont maintenant confrontées. Elle est généralisée, et elle s’aggrave. Elle a ses racines dans la situation économique et sociale des pays d’où viennent les victimes, elle est facilitée par les pratiques discriminatoires à l’égard des femmes et portée par l’indifférence cruelle à la souffrance humaine de ceux qui exploitent les services fournis sous la contrainte par les victimes. Le sort de ces personnes les plus vulnérables de notre planète est un affront à la dignité humaine et un défi lancé à chaque État, chaque peuple et chaque communauté. J’invite donc instamment les États Membres à ratifier non seulement la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, mais aussi le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, qui peut changer du tout au tout la lutte pour l’élimination de ce crime qu’est le commerce des êtres humains. Les groupes criminels n’ont pas perdu de temps pour adopter d’enthousiasme l’économie mondialisée d’aujourd’hui et les technologies de pointe qui l’accompagnent. Mais nos efforts pour les combattre sont restés jusqu’à présent très fragmentaires et nos armes pratiquement obsolètes. La Convention nous donne un nouvel outil pour faire face au problème mondial que représente ce fléau. Avec une coopération internationale renforcée, nous pouvons porter véritablement atteinte aux capacités dont disposent les criminels internationaux pour opérer avec succès, et aider en tout lieu les citoyens qui luttent souvent avec acharnement pour la sécurité et la dignité dans leur foyer et leur communauté. La signature de la Convention à Palerme, en décembre 2000, a marqué un tournant dans le renforcement de notre lutte contre le crime organisé. Je conjure tous les États de ratifier la Convention et les protocoles s’y rapportant le plus tôt possible, et de leur donner effet de toute urgence.
Le Secrétaire général Kofi A. Annan
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