C’est en pensant à ma ville natale de Kaolack dont je suis le citoyen de la semaine par la grâce d’un collectif de jeunes que je fais cette descente par «memory lane», la voie de la mémoire, à partir du Sommet de Montpellier, étrangement dénommé Afrique-France, pour tenter de jeter un regard sur les évolutions récentes afin d’en proposer des perspectives sur ce qui dépasse de loin nos rapports agités, chahutés, avec Paris.
Je m’adresse à Emmanuel Macron, en rédigeant ce debrief. Non pas pour le condamner ou le secouer davantage. Ce serait l’achever au moment où, sonné, il doit, ce dimanche, être profondément assoupi dans les bras de Mémé Brigitte. Y a de quoi, tant les salves nourries qu’il a reçues de jeunes africains, sans, si l’on ose dire, de bonnes manières, ont dû remettre en question ses certitudes de coq Gaullois s’imaginant toujours en terrain conquis.
Les salauds, marmonne-t-il, depuis cette rencontre électrique avec la partie pourtant la plus…douce de la jeunesse africaine. Sourire et rire contenus, la main sur la bouche, tête légèrement baissée, le Camerounais, Achille Mbembé, qu’il avait crû recruter pour lui organiser un adoubement par les jeunes restifs du continent, s’esclaffe de rire devant l’inattendu spectacle. Schadenfreude !, pense-t-il, ravi de voir ce gallinacé douché en public mais surtout de répondre à ses critiques africains en leur disant indirectement : «voyez, nous ne sommes pas ici pour être les faire-valoir de quelque projet néocolonial français».
A l’aune de la prestation audacieuse, courageuse et, parfois, lumineuse, des interlocuteurs de Macron, il ne manque pas de raisons, que brandissent déjà d’aucuns, pour s’exclamer : chiche ! après tout, ça nous sort des ronrons classiques des dialogues verticaux traditionnels que furent depuis leur lancement, en 1973, les rencontres annuelles France-Afrique, sur le modèle du Commonwealth Britannique. Cette fois-ci, le maître blanc, comme déstabilisé, poussé dans ses ultimes retranchements, regard angoissé au lointain, n’en menait pas large. Il n’était clairement ni le maître du jeu ni n’en distribuait le temps de parole encore moins la substance : dans ce dialogue qu’il avait voulu sans filtre, filmé et franc, Macron a laissé beaucoup de plumes.
Qu’il ait vaille que vaille maintenu ses talking points les plus importants à ses yeux. Retranché derrière sa ligne Maginot, sous le feu des caméras, il a réitéré son refus de demander pardon pour la colonisation. S’est, derechef, réfugié derrière les invitations souveraines des dirigeants africains, tout illégitimes qu’ils puissent être, pour justifier la présence militaire de son pays en Afrique. N’a pas craint de répéter ses louvoiements de son soutien aux dictatures constitutionnelles, de la Guinée à la Côte d’Ivoire, du Sénégal au Tchad, en trouvant toutes sortes d’excuses sur l’inaction de la France quand, sans ménagements, y sont écrasés les fondamentaux des droits humains. Il est pareillement resté vague sur l’avenir de la servilité monétaire avec ses dépendances africaines.
Et, tout au long de son duel, tantôt à fleurets mouchetés, tantôt d’une violence verbale aveugle, il n’a surtout pas oublié les messages qui lui tenaient davantage à cœur plus que les dénonciations archi-connues de la jeunesse africaine.
Si, ensanglanté, comme un grand blessé de guerre, sous les coups d’épée qu’il recevait, il n’en est pas moins demeuré stoïque, c’est que sa drague pour conquérir les cœurs et votes d’une Diaspora africaine, francisée sur le papier, fait partie de son plan pour se sauver et préserver l’essentiel pour son pays.
Ces jeunes, tout déchaînés qu’ils étaient, émoustillés par la chance qui leur était donnée d’assumer une fonction tribunitienne, de briller, voire frimer, qu’on leur interdit sous les tropiques, représentent pour Macron l’avenir. Qui veut en faire des lances pour aller à l’assaut du continent, dans une relation redéfinie, en palliant l’amortissement intellectuel et conceptuel des reliques impopulaires au pouvoir dans les pays de ce qu’on a longtemps qualifié, selon le langage néocolonial, de pré-carré africain de la France.
Au-delà de la dimension stratégique, nationale, pour recoudre le tissu d’une relation avec un continent sans lequel son pays reste un nain géopolitique, impécunieux, inapte à supporter une projection distante, voiture sans carburant, selon le mot d’Omar Bongo, l’objectif plus immédiat du rendez-vous de Montpellier fut pour lui le prétexte de prouver à une jeunesse africaine contestataire qu’il « tait, lui, disposée à l’écouter et, même, à la traiter en égale de sa posture institutionnelle présidentielle. D’où le choix de tenir avec elle un…Sommet !
Plus cyniquement, celui qui n’avait pas hésité à poignarder son prédécesseur, François Hollande, l’homme qui lui avait mis le pied à l’étrier en l’intégrant dans les sphères du pouvoir d’Etat pour prendre sa place, avait aussi pour ambition secrète d’obtenir les suffrages d’une diaspora, vivier électoral important, tout en faisant les yeux doux à l’électorat d’une extrême droite française charmée par le discours anti-immigration et hostile aux spécificités ethno-religieuses exogènes. La présidentielle française d’Avril prochain est au coin de la rue et Macron sait faire ses maths.
A la fin de cette rencontre, malgré ceux qui veulent y voir une innovation disruptive profonde, force est toutefois de constater que, si les parties en présence ont chacune sauvé les meubles, tout a changé (symboliquement) pour demeurer.
On notera d’abord qu’il n’y avait rien de révolutionnaire dans le dialogue sans filtre. Qui oublie qu’avant Macron, il y avait déjà eu une rencontre directe entre l’alors Président américain, Barack Obama, et les jeunes élites africaines du programme YALI –young African ledership initiative ? Combien de dirigeants américains, en commençant par Bill Clinton, ont eu des interactions avec des membres des sociétés civiles africaines ? Et Biden a déjà annoncé qu’il en fera de même…
Déjà, en décembre 1987, sémillant jeune journaliste, je fus choisi pour interviewer, en exclusivité, le Premier ministre français de l’époque, en pleine tension d’un régime de cohabitation entre lui, Chirac, et le Président, socialiste, Mitterrand. C’était au Sommet France-Afrique d’Antibes. L’entretien eut lieu sous le regard du père de la Franafrique, Jacques Foccart, en personne, qui s’étonna, en riant, des questions incisives que j’avais posées. Ah, fit-il, dans un soupir qui en disait long.
En réalité, il n’y a rien de nouveau. Le marché de dupes continue. Le premier Sommet France-Afrique auquel je pris part, en 1983, à Vittel, en est la parfaite illustration. Refusant de se débarrasser de son arme que les portiques de sécurité avaient révélée, un jeune révolutionnaire africain, leader d’un pays dont le nom avait été changé pour exprimer une volonté de réaffirmation souveraine, avait déjà semblé sonner la révolte contre le Pacte colonial. Quatre ans plus tard, sans doute avec la bénédiction de Paris, Thomas Sankara, était assassiné et remplacé par un docile francophile au Burkina Faso.
En s’évertuant à dialoguer avec la jeunesse africaine, Macron n’agit qu’en opportuniste, girouette portée par les vents de l’aspiration à un rapport plus juste voulu à travers le continent. Ce qui en donne une dose d’audace, c’est le format : mal-nommé, le sommet de Montpellier déroge aux canons protocolaires classiques, dans une formule décapante qui ne peut manquer de frapper les imaginations.
Seulement, pari audacieux, ce sur-classement d’un rendez-vous qui aurait pu se tenir dans un amphithéâtre, en Sorbonne ou à Sciences Po, dans une ambiance autant bon enfant que grave dans les sujets qui y seraient abordés, reviendra, demain, hanter les nuits de son concepteur.
Comment ne pas y voir, d’une part, une mascarade dans la mesure où la France Macronienne s’est choisie ses interlocuteurs, tout brillants qu’ils soient, en évinçant les militants reconnus d’une vraie redéfinition du lien franco-africain ? N’est-ce pas là une continuation de stratagèmes insultants pour l’intelligence des africains nés avec le déséquilibre originel des premiers sommets institutionnels, confortés par le changement cosmétique de leur dénomination, de France-Afrique à Afrique-France (pour jeter une pierre dans le jardin d’une Chinafrique qui fait peur dans l’Hexagone), et maintenant élargis à des jeunes, dont la légitimité et la représentativité laissent à désirer sans compter le mépris envers les officiels africains réduits en spectateurs lointains.
Emmanuel Macron paiera, d’autre part, le prix de son audace dans son propre pays. Très bientôt, les images qu’il a données d’un chef acculé, coq déplumé sous les moqueries de gamins, à la face du monde entier, pourront être utilisées comme armes de destruction massives à son encontre par ses rivaux politiques. N’a-t-il pas dégradé la France en jouant au populiste ? Ne pouvait-il pas tenir cette rencontre dans une pièce privée afin d’épargner à son pays, au peuple français, l’humiliation suprême qui leur a été infligées par l’entremise de leur chef, tourné en bourrique, sous les vivats d’une foule de corrida jouissant sans retenue devant la bête qui recevait une pluie de coups aussi tranchants les uns queles autres.
Macron, en cela, est la réincarnation d’un Mikhail Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’ex-Union soviétique dont l’empressement à séduire les dirigeants Occidentaux après une longue ère de glaciation sous les caciques du Parti communiste d’Union soviétique (Pcus), notamment Brejnev, Tchernenko et Andropov, finirent par le transformer en instrument pour accélérer l’implosion du plus vaste territoire national (22400000 KM2) et empire. Sacrificiellement, Macron, lui aussi, a définitivement tué le mythe d’une France maîtresse de ses terriroires africains qu’elle contrôlait à distance en se faisant, de surcroit, ridiculiser publiquement.
Pire, Macron ne réussit aucun des objectifs qu’il visait et perd sur tous les fronts : le respect des jeunes, la méfiance de ceux qu’il a exclus, la confiance de ses pairs africains qui peuvent se sentir trahir par un faux allié, la colère des français, mis en procès, sans possibilité de répliquer, le dédain de ses adversaires dans la course à l’élection présidentielle, contents de ce coup de pouce, d’un faiblard, ayant fini d’acter la dégradation, par une meute juvénile, du rang de la France.
Et, pour conclure, son cirque est passé à côté de tant de grands sujets et enjeux, aussi bien des tueries que font ses alliés officiels (Cheikh Niass en étant la dernière victime), les arrestations illégales d’honnêtes personnes sans qu’il n’en pipe un mot (suivez mon regard), les mutilations constitutionnelles, ses menées homosexuelles, sa couverture de séparatistes et terroristes au Nord du Mali, ses insultes mémorielles, ses magouilles pour faire financer ses safaris africains par la communauté internationale, ses yeux fermés sur la corruption, son mutisme sur les détournements des deniers publics, et sur la cache des trésors africains dans des paradis fiscaux, son appui aux pires prédateurs corporate (tels Total ou Eiffage) et à la tête des Etats…
N’en jetez pas plus. Macron a fait un ratage historique en révélant les fragilités de son pays. Qui sait s’il n’en paiera pas le prix dès le mois d’Avril, par une perte de son fauteuil, les électeurs français ayant mille raisons de se venger de les avoir embarqués dans son cirque qui a fait flop ?
La bonne nouvelle : de jeunes africains ont prouvé que le continent dispose de voix plus capables et crédibles que les pieds nickelés qui parlent en ce moment en son nom. Que mille écoles de jeunes y fleurissent donc…
Et que le débat se tienne sur nos propres terres.
Macron, queue basse, a eu le mérite de subir son humiliation. Ses pairs africains sont déjà en quête de bunkers.
Adama Gaye*, exilé politique, illégalement détenu du 19 juillet au 20 Septembre 2019, au Sénégal, est diplômé en Coopération et développement de l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne.
Ps : Celles et ceux qui veulent voir en Montpellier un moment paradigmatique ont tort. La refondation ne se fera pas à grand spectacle. Soyons sérieux !
Russie, Chine, Amérique, Allemagne, Démocratie, Terrorisme, Sante, Education etc, le débat se fera en Afrique par les Africains ou ne sera pas. Pas de tête à tête avec Paris qui tienne.”
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