Dans quelle situation se trouvent les économies africaines un peu plus d’un an après le début de la pandémie de Covid-19 ?
Cécile Valadier : L’activité économique de l’Afrique a été moins touchée que d’autres régions du globe, comme l’Amérique latine, mais elle a tout de même accusé un recul du PIB de 1,9 % en 2020 en moyenne. C’est la première fois que le continent connaît une récession depuis au moins 30 ans.
Certains pays sont plus durement affectés que d’autres par la crise sanitaire. C’est le cas des Comores, de la Gambie et des Seychelles, qui dépendent du tourisme, mais aussi de l’Angola, du Nigeria et du Congo, touchés par la baisse des cours du pétrole, et plus largement des pays dépendant des exportations de matières premières (Afrique du Sud, Zambie…). Ceux qui s’en sont le mieux tiré sont ceux qui ont diversifié leurs revenus et su trouver des relais de croissance dans des secteurs moins frappés par la crise : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Kenya ou le Sénégal, par exemple.
Un certain nombre d’habitants du continent ont néanmoins basculé dans l’extrême pauvreté l’an dernier : l’Afrique subsaharienne compte ainsi 34 millions de « nouveaux pauvres » vivant avec moins de 2 dollars par jour, selon les estimations de la Banque mondiale.
Comment se dessine la reprise économique sur le continent ?
C.V. : Le rebond de l’activité devrait être assez modéré, avec une croissance de 3,4 % du PIB cette année. Cela ne permettra pas de le ramener à son niveau d’avant crise avant au moins plusieurs années. La reprise est ainsi moins importante que dans les économies avancées du reste du monde.
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Il y a deux raisons à cela. Premièrement, le continent africain connaît un accès plus difficile aux vaccins, et le retard pris sur cette question complique le retour à la normale de l’économie, puisque les pays devront sans doute maintenir certaines restrictions dans les mois qui viennent. Deuxièmement, les États africains consacrent une plus faible part du PIB à leurs plans de relance car ils ne disposent pas des mêmes capacités budgétaires que les autres économies : ils mobilisent moins de recettes fiscales, ont un accès plus restreint aux financements externes et leurs banques centrales ont des marges de manœuvre plus limitées.
Faut-il s’inquiéter pour la dette publique des pays d’Afrique ?
C.V. : On avait des raisons de s’inquiéter même avant la crise ! Après les annulations de dette dont beaucoup de pays ont bénéficié dans les années 2000, on a pu observer une trajectoire de réendettement marquée. La dette publique cumulée du continent est ainsi passée de 650 milliards de dollars en 2010 à 1 400 milliards en 2019, avec 19 pays en situation de surendettement.
En 2020, la dette a augmenté en pourcentage du PIB dans 44 pays d’Afrique. La crise sanitaire est un choc dont les effets se prolongent, et il faut s’attendre à ce que cette hausse conséquente de la dette dure un certain temps. Avec les dépenses destinées à lutter contre la crise sanitaire, celle-ci ne s’effacera pas d’elle-même. Ce qui nous inquiète, c’est que ces pays ont des besoins de financements colossaux et qu’ils pourront difficilement recourir à l’endettement externe, notamment pour leurs dépenses sociales, d’éducation ou d’infrastructures susceptibles de booster la croissance.
Ces enjeux sont plus amplement développés dans un papier de recherche de la collection Macrodev que nous venons de publier : « La soutenabilité des dettes en Afrique : état des lieux et enjeux futurs ».
Quelles solutions sont proposées par la communauté internationale ?
C.V. : Les bailleurs bilatéraux financeurs du Club de Paris ont pris conscience très tôt que les sources de financement externes classiques allaient se tarir, et que cela ferait naître des tensions pour financer les réponses à la crise sanitaire. Un certain nombre de remboursements de dette prévus en 2020 ont été suspendus, pour un total de 6 milliards d’euros. Cette suspension a ensuite été étendue à 2021. Ce bol d’air permet aux États d’utiliser l’argent pour les dépenses sanitaires et sociales pressantes. Un travail est aujourd’hui en cours avec les membres et non membres du Club de Paris pour restructurer la dette de certains pays.
De son côté, la France a lancé via l’AFD l’initiative Santé en commun aux premières heures de cette crise, dès avril 2020, afin de soutenir les systèmes de santé des pays fragiles, et notamment en Afrique. Dotée de 1,2 milliard d’euros, elle a déjà permis de contribuer aux plans nationaux de réponse au Covid-19 et de renforcer des réseaux régionaux de surveillance épidémiologique.
Quels sont les objectifs du sommet sur le financement des économies africaines organisé par la France le 18 mai ?
C.V. : Les chefs d’État de pays d’Afrique et du G20 se réuniront pour catalyser les réponses financières pouvant être apportées aux pays africains. Ce sera l’occasion d’évaluer les besoins de financements et de voir comment ils peuvent être comblés. Il s’agira également de montrer comment la mise en œuvre du cadre commun de traitement de la dette publique des pays qui connaissent des difficultés, annoncé en novembre dernier par le G20, permet de concentrer les efforts des bailleurs sur une réponse forte et commune.
Une approche multilatérale de ces questions est possible, et même souhaitable. Elle permettra d’atteindre de meilleurs résultats en englobant plus de créanciers. Il faudra voir par la suite si les créanciers privés sont prêts à des efforts financiers au moins aussi importants que les bailleurs publics.
Ce sommet permettra également de discuter de la relance économique du continent. Comment l’Afrique peut-elle retrouver le chemin de la croissance ? Quels en seront les acteurs dans le secteur privé africain ? Et que peuvent faire les bailleurs pour soutenir ce secteur ? C’est aussi de cette manière que nous parviendrons à alléger les tensions qui pèsent sur les États africains en matière d’endettement.
L’Afrique a largement assez de ressources pour financer son propre développement, le problème c’est la corruption des élites