L’Humanité a publié le 27 juillet dernier un texte écrit en 2011 par Amath Dansokho, ministre et fondateur du Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), pour célébrer les « 30 glorieuses » initiées par Babacar Touré à l’aube de la décennie 80. À travers cet hommage rendu à son ami journaliste, il raconte les luttes opiniâtres menées en commun, au nom de cet « accord de fond sur la nécessité de maintenir le Sénégal, quelles que soient les difficultés, sur les rails de la paix civile, de la laïcité et de la démocratie ».
Regard d’un sympathisant-partisan sur « nos 30 Glorieuses », à travers Sud
(NDLR : ce texte a été rédigé en 2011).
L’irruption de « Sud » dans le paysage journalistique du Sénégal a été un événement considérable. Ceci à la lumière de la qualité professionnelle et du mode de traitement novateur des problèmes politiques, sociaux et culturels de ses initiateurs.
Franchement, je ne sais pas comment le groupe s’est formé mais ce dont je suis à peu près sûr, c’est que le collectif n’est pas né au hasard.
En effet, ces grands talents possédaient une intelligence très vive des problèmes cruciaux de notre pays et étaient animés d’une très forte passion pour promouvoir une presse indépendante, libérée du journalisme de propagande et de flagornerie du Parti État.
Naturellement, leur projet n’a pas été créé à partir du néant, le Sénégal possédant depuis longtemps déjà, une activité de presse abondante marquée par un journalisme de gauche prépondérant pendant la période de répression et au début des années quatre-vingt. Ceci étant, l’une des facettes de l’impact de « Sud », c’est une écriture qui était en phase avec les préoccupations d’un lectorat de nouvelle génération.
Pour ma part, c’est le Rédacteur en Chef de « Daan Doole », dont j’étais moi-même le Directeur de Publication, qui m’a parlé pour la première fois de ces jeunes journalistes. Il les a rencontrés au Relais, si ma mémoire ne me trahit pas, à l’occasion d’une concertation de tous ceux qui ont une activité journalistique, pour définir une plate-forme de lutte pour la liberté de la presse et contre la censure. Il m’a dit que ces jeunes gens étaient extrêmement intelligents. Lui-même a été fasciné par leur culture, leur agilité intellectuelle et leur grande détermination.
Mais quelque temps après, des rumeurs circulèrent sur des supposés antécédents maoïstes et trotskistes du groupe. Naturellement, des crispations, des préjugés et même des automatismes nés des confrontations doctrinaires de l’époque ont suscité, ici et là, à l’égard de ces jeunes journalistes des suspicions. Ces préjugés n’allèrent pas loin. Mon appréciation a rigoureusement été fondée sur l’activité concrète de cet organe dans le champ politique. J’ai remarqué, dans ce cadre, que nos positions allaient dans la même direction : des déconstructions de la chape de plomb du Parti État.
C’est ainsi que très vite, j’ai pu établir avec Babacar Touré, pourtant de très loin mon cadet, une proximité confiante et sans calcul. Nous avions en partage une passion irrépressible pour la liberté, pour la justice et la démocratie. Nous sommes, comme disait Georges Gurvitch en « réciprocité de perspective ». Une réciprocité assise sur les nouvelles valeurs nées du séisme de mai 1968, en France et au Sénégal et des percées décisives des pays du Tiers-monde.
Ces valeurs ont pour nom : anticonformisme, très grande rigueur critique, libération humaine et point de vue très largement convergent sur les problèmes du Tiers-monde, du devenir de l’Afrique et de l’unité du continent.
L’écriture, le langage et les grilles de lecture de ces journalistes brillants répondaient parfaitement aux préoccupations d’un lectorat en expansion de masse, assoiffé d’éclairages sur le mouvement des contradictions du monde. C’est précisément pour cette raison que « Sud » s’imposa comme un organe phare au Sénégal. Je me demande aujourd’hui si ce n’est pas son succès qui a été pour une large part la raison de la disparition de la presse partisane qui avait fait preuve d’une grande vitalité avant le rétablissement du pluralisme politique intégral.
En effet, le collectif rédactionnel de « Sud » était constitué de professionnels de la presse, ayant bénéficié d’une formation solide au CESTI. En même temps qu’ils surfaient sur les préoccupations de l’élite intellectuelle, leurs articles étaient parfaitement compréhensibles, rendant compte de sujets tels que les luttes dans le monde du travail ou encore l’ajustement structurel. C’est précisément ce traitement de l’information transversale qui assura à « Sud » une fonction véritablement structurante, irradiée d’un esprit de « rébellion » qu’aucune pression ou entreprise de récupération n’a pu étouffer.
Les positions éditoriales de Babacar Touré, Ndiaga Sylla et Abdou Latif Coulibaly, pour ne citer qu’eux, étaient toujours attendues pendant les tumultes que le Sénégal a connus ces 20 dernières années et ce sont elles qui donnaient, dans une très grande mesure, le tempo dans le champ médiatique. Dans ce contexte, mes échanges avec Babacar étaient d’une grande densité intellectuelle et étaient un plaisir pour l’esprit. Mais ceux-ci se concluaient toujours par la mise au point d’hypothèses de solutions opérationnelles portant sur une identification claire des enjeux du moment actuel, comme disait Régis Debray. Nous avions un accord de fond sur la nécessité de maintenir le Sénégal, quelles que soient les difficultés, sur les rails de la paix civile, de la laïcité et de la démocratie.
Babacar Touré m’expliquait qu’il accordait la plus grande attention aux analyses et prises de position du PIT et qu’il recommandait à ses interlocuteurs d’en faire autant. Même si celles-ci pouvaient être déroutantes de prime abord, disait-il, elles étaient le fruit de réflexions approfondies, expurgées de la part d’émotions, de subjectivisme ou « d’idéologisme » qui altéraient dans la plupart des situations les démarches des politiciens, en particulier celles de la gauche traditionnelle. Les positions qui découlaient de nos analyses, embrassaient le cours des événements que structurait l’analyse concrète de situation concrète, aimait à me conforter Babacar Touré.
« Mieux vaut tard que jamais. Les leaders de Benno qui ont rattrapé leur retard, ont fait encore aujourd’hui, de ton domicile leur quartier général, et de toi, la conscience du peuple », me taquine Babacar Touré
À cet égard, les exemples ne manquent pas. Ce fut le cas notamment en 1993, quand Abdoulaye Wade était presque parvenu à un accord avec Abdou Diouf pour que ce dernier le nommât Vice-président irrévocable, ce qui aurait été à tous égards, une violation de la Constitution et surtout une voie royale pour écarter Abdou Diouf en niant de fait, le suffrage des citoyens qui est un fondement de la République ! Dès le lendemain, nous avons sorti l’artillerie lourde pour mettre en pièces ce projet monstrueux : Babacar Touré, dans un éditorial flamboyant, nous, dans une déclaration du secrétariat du PIT. L’opinion s’en est émue et le projet a été enterré.
Sur la grave crise casamançaise, nos positions furent quasiment identiques : contre la guerre, pour des solutions politiques. Nous estimions qu’il s’agissait là d’une tragédie nationale. Dès le début des années 1990, le PIT a mis en évidence, le premier, la dimension considérable de la drogue dans le pourrissement de la tension. Madior Fall, quelques années plus tard, dans un grand reportage qu’il serait bon de relire encore aujourd’hui, en donnait une preuve sans équivoque.
La dure répression de l’opposition préparée et perpétrée sous la férule du tout-puissant ministre d’État, Secrétaire général de la Présidence de la République et mentor reconnu et accepté par Abdou Diouf, n’a pas surpris la vigilante perspicacité de « Sud ». En effet, ces jeunes qui bravaient les grenades lacrymogènes et se retrouvaient dans les paniers à salade et derrière les grilles des commissariats de police, aux côtés des leaders et autres militants de l’opposition démocratique, avaient compris même, avant celle-ci, les desseins funestes du régime socialiste bien avant les soubresauts postélectoraux.
Il me souvient, que dès la fermeture des bureaux de vote, les Babacar Touré, Abdoulaye Ndiaga Sylla et leurs confrères nous ont assiégés, pour recueillir nos réactions, sorties des urnes et le lendemain de la consultation électorale.
Évidemment, notre souci premier consistait à faire le décompte des voix et préparer les recours contre la fraude massive et les manipulations du scrutin, par les affidés du Parti socialiste. Non sans agacement, certains d’entre nous, ont accepté de confier leurs premières observations et évaluations critiques à ces jeunes teigneux qui nous ont harcelés sans cesse, « car demain, vous ne serez plus en mesure de nous parler, puisque vous serez tous en prison », affirmaient-ils sans se démonter. Et de nous rappeler, la tenue en novembre ou décembre 1987, d’un séminaire sur l’État d’urgence et l’État de siège, sous l’égide de la Ripas (Revue des Institutions Publiques et de l’Administration du Sénégal), sous la férule du Professeur de Droit Jacques Marie Nzouankeu, d’origine camerounaise, chaperonné par Jean Collin.
La suite des événements a donné raison aux jeunes journalistes, car Abdou Diouf, qui nous avait traités de « bandits de grand chemin », manipulant une « jeunesse malsaine », s’est empressé de mettre en prison la plupart des leaders de l’opposition et certains de nos militants avec déportation à Kédougou pour Boubacar Sall, considéré comme le « Baye Fall » inconditionnel de Wade. Les actes posés par Jean Collin n’avaient pourtant pas été appréhendés correctement par les acteurs, mais par les journalistes de « Sud » qui ne s’y étaient pas trompés.
S’ensuivront l’état d’urgence et la censure, mais « Sud » sut tirer son épingle du jeu, en publiant les réactions à chaud des leaders emprisonnés et en couvrant les émeutes le jour et les concerts de casseroles la nuit nouvelle forme de protestation des populations. Sans parler de la couverture des procès quand « les vainqueurs jugeaient les vaincus » (titre de « Sud ») et la table ronde avortée.
Les événements sanglants Sénégal — Mauritanie ont permis d’apprécier à leur juste valeur, l’esprit de responsabilité et la lucidité de « Sud ». Alors que la colère et la vengeance montaient dans les deux camps, « Sud » Hebdo n’a pas hésité à titrer « la raison du plus fou », en référence à la fable de La Fontaine, le loup et l’agneau dont une rime explique que « La raison du plus fort est toujours la meilleure », appelant ainsi à la raison et à la concorde des communautés et des peuples que tout lie.
« Sud » reflétait l’opinion majoritairement acquise aux valeurs de liberté et de justice et à la démocratie. L’opinion en, retour, se retrouvait dans la démarche éditoriale de « Sud ». C’est ainsi que quand des opportunités de solutions de sortie de crise et de préservation de la paix civile s’offraient à la classe politique, la facilitation et l’adhésion des populations étaient acquises notamment, grâce aux exhortations de Serigne Abdou Aziz Sy, de Monseigneur, le Cardinal Hyacinthe Thiandoum et aux éditoriaux et analyses de « Sud ».
Ainsi, des deux épisodes de participation de forces de l’opposition aux gouvernements dits de majorité élargie en 1991 et 1993, « Sud » et la presse de l’époque ont été aux avant-postes de la campagne nationale et internationale pour libérer les dirigeants emprisonnés, qui a la suite de la mort de six policiers dans l’affaire dite des Moustarchidines, qui, après l’assassinat du Vice-président du Conseil Constitutionnel Me Babacar Sèye, en l’occurrence, Me Wade et ses proches collaborateurs. Les interpellations musclées de dirigeants de l’opposition, comme les prières de « yor yor », initiées par Wade pour le départ de Diouf et réprimées vigoureusement, ont fait les « Une » de « Sud ».
La première radio privée du pays, viendra en complément du premier quotidien privé briser un autre monopole et ouvrir aux langues et cultures nationales des perspectives d’émancipation et d’affirmation d’une personnalité africaine poreuse au débat citoyen et au multiculturalisme. « Qui a peur du Pape ? » Ce titre, qui a barré la Une de « Sud » Hebdo, a finalement contribué à calmer certains dévots qui menaçaient de s’opposer au besoin, physiquement, à la première visite du Pape Jean Paul II au Sénégal.
Dans la nuit du 19 au 20 mars 2000, un échange de coups de fil entre Me Wade et Babacar Touré, ensuite entre le patron de « Sud » et Abdou Diouf, convainc le président Diouf d’appeler son adversaire, Abdoulaye Wade, pour le féliciter pour sa victoire à la suite des résultats diffusés en direct par les radios privées sur la bande FM («Sud » FM et Wal Fadjri). Ce que fit le président Diouf, tôt le matin du 20 mars 2000, au grand étonnement de Me Wade et de son entourage, convaincu que la victoire allait être confisquée par les irréductibles caciques du pouvoir socialiste. Seule de la presse nationale et internationale, « Sud » barrait sa Une avec un historique « Wade président ».
Cette démarche de « Sud » et quelques autres acteurs de l’ombre et la détermination du peuple à défendre « son résultat » marqueront pour la première fois dans l’histoire du Sénégal, « indépendant », l’avènement d’une alternance politique au sommet de l’État. Pour les gens de ma génération, nous avions le sentiment que le travail était terminé, « the job is done ». Cependant, les inquiétudes ne manquaient pas de nous assaillir. Pour avoir confié à la presse, dont « Sud » « que Moustapha Niasse serait une garantie auprès de Wade », le PIT et moi-même devions subir l’ostracisme du président élu qui nous a royalement snobés, lors des consultations en vue de la formation du premier gouvernement dit de « l’Alternance ». Nos alliés en étaient surpris et nous exprimant leur solidarité en privé, mais ne faisaient pas de notre participation, ni un point de principe, ni un point de rupture, en dépit du rôle historique et de l’antériorité de notre combat et de notre soutien à Wade, longtemps incompris, voire combattu par ceux-là mêmes qui, derniers ralliés, se présentaient comme ses alliés les plus sûrs.
Là aussi, c’est la presse libre de ce pays, « Sud » en tête, qui a fustigé l’incongruité et le manque d’élégance et de reconnaissance de la part de celui qui nous étions allés chercher à Paris, pour l’obliger à être notre candidat de consensus. Notre participation, in extremis et notre sortie, tout aussi brutale et rapide du gouvernement où nous avions laissé nos alliés « désolés », mais « fidèles aux postes ». La presse, suite de cet acte prémédité de Wade, de « défenestration ». Le pouvoir solitaire de celui-ci qui s’affublera du titre de « despote éclairé », s’affirmait déjà sans ambages, cristallisé par une Constitution à la mesure de l’Omni Président que nous avons tôt décelé et dénoncé, sans être compris à l’époque. C’est pourquoi quand au bout d’une période d’état de grâce et même de coopération pour donner toutes ses chances au nouveau régime, « Sud » sonnait l’alerte à travers un retentissant éditorial : « Alterner l’’Alternance », sous la signature de Babacar Touré, ce fut comme un coup de tonnerre, sous le ciel assombrissant de l’Alternance. C’était bien avant la parution de l’ouvrage de Abdou Latif Coulibaly, « Wade, un opposant au pouvoir - l’Alternance piégée », qui, de manière systématique, renseignait sur le profil de la personnalité manipulatrice et compulsive de l’homme.
Un journal, si je me souviens bien, c’était le « cafard libéré » avait surnommé Wade, « le président de la Rue publique », C’était l’époque des grandes manifestations de masse des policiers radiés, des voitures piégées et des bombes, qui éclataient en divers endroits de la capitale. Les regards étaient braqués sur l’opposition mais surtout sur les calots bleus de Wade et leurs chefs qui gravitaient autour du Pape du Sopi, autre surnom sorti de l’imagination des journalistes. Wade le prestidigitateur, pouvait être pris dans les pièges et embuscades qu’il affectionnait de tendre au régime de Diouf, souvent en dehors de toute concertation avec ses alliés, qui ne pouvaient le désavouer publiquement. C’est ainsi, qu’après avoir appelé à une grande manifestation populaire nationale, pour le départ d’Abdou Diouf, il se vit contraint d’en annoncer l’annulation, en convoquant la presse nationale et internationale à son domicile du Point E, cerné par des militants surexcités. La raison invoquée par le Maître des lieux, justifiait bien une telle mesure, mais était-elle fondée ? À Babacar Touré qui lui avait posé crûment la question, Maître Wade répondit qu’il venait de recevoir un message de Jean Collin, par l’intermédiaire d’Ahmed Khalifa Niasse. La teneur était époustouflante : « Jean Collin m’a prévenu qu’Abdou Diouf est prêt à me céder le pouvoir et qu’il fallait, toute affaire cessante, s « atteler à l’organisation de la transmission du pouvoir ». D’où l’annulation de la manifestation qui devenait sans objet. Devant l’assistance abasourdie, Babacar demanda à Me Wade de la mettre en relation téléphonique avec l’émissaire présumé, en l’occurrence Ahmed Khalifa Niasse, qui se trouvait dans sa ferme-village de Niaga. S’ensuivit un jeu de questions-réponses entre Monsieur Khalifa Niasse et Babacar Touré qui répétait à la ronde, à haute et intelligible voix, pour l’assistance qui buvait ses paroles, les propos de L’Ayatollah de Kaolack. Des propos de dénégation : « Non, je n’ai jamais été envoyé par Jean Collin. Je n’ai jamais dit à Me Wade ce que vous affirmez ». L’assistance se disperse, médusée, laissant derrière, Me Wade, s’épongeant le front fortement plissé, la mine crispée et une moue boudeuse, le visage déconfit, entouré d’un carré de fidèles et d’alliés embarrassés. Les journalistes, en ce temps-là, bien moins qu’aujourd’hui, ne reproduisaient pas tel quel, tout ce qui leur était confié par des sources, fussent-elles réputées des plus fiables.
Qu’est-ce qui s’est réellement passé alors ? Plus tard, il sera question de créer un sénat présidé par Wade, de Vice-Présidence – voire de ticket Diouf-Wade-, de l’affaire des armes libyennes, et de la garde à vue, à la gendarmerie de Hann, d’ Ahmed Khalifa Niasse. Ces manœuvres souterraines avortées ont-elles été à l’origine de telles tribulations et de la turbulence ayant débouché sur le meurtre des policiers et l’assassinat de Me Sèye ? Avec le recul, ces conjectures ne paraissent pas manquer d’intérêt ;
L’honnêteté et le sens des responsabilités sont une des marques de fabrique d’un bon journalisme. « Sud », nous l’avions déjà dit, a joué un rôle majeur dans le basculement de l’opinion en faveur de Me Wade et de ses coaccusés dans l’affaire Me Sèye. Par ses révélations et ses contre-enquêtes notamment, « Sud » a traqué les failles de l’accusation et relayé tous les éléments pouvant contribuer à innocenter les mis en cause. Seulement, quelques années plus tard, bien après l’élargissement de Me Wade et de ses coaccusés, alors qu’ils siégeaient à nouveau dans le gouvernement de majorité élargi, « Sud » fit encore sensation. En titrant à sa « Une » : « Rebondissement dans l’affaire Me Sèye, la piste du PDS relancée », le journal faisait état d’éléments nouveaux dont la prise en compte pouvait aboutir à une révision du procès et au retour à la case départ. — « cage- départ ? », pour Me Wade et compagnie- Tôt ce matin-là, Me Wade en émoi, fit irruption avec le numéro de « Sud » quotidien en main, chez le président Abdou Diouf qui était encore dans ses appartements. Comme ce dernier s’apprêtait à se rendre à son bureau, il demanda à Me Wade de l’y retrouver plus tard. Abdoulaye Wade l’y devança, toujours le journal en main. Après maints conciliabules entre les deux hommes, Diouf décide d’appeler Babacar Touré. L’histoire s’en arrêta là et on ne sait toujours rien de ces éléments nouveaux que « Sud » s’était contenté d’annoncer et sur lesquels le journal ne revint jamais après le tête à tête entre le Président Diouf et le patron de « Sud ».
Peut-être un jour, l’Histoire sera connue, malgré la loi Ezzan, et les révélations d’un des acteurs recueillies par Abdou Latif Coulibaly, dont l’ouvrage a été censuré comme bien d’autres avant et après.
En bref, je dirai que la créativité et le courage de « Sud » ont fait de cet organe pionnier de la presse indépendante, un véritable phare dans notre pays. On comprend dès lors, qu’il ait subi l’adversité implacable de celui qui s’est déclaré être partisan en Afrique d’un « despotisme éclairé » et du « césarisme démocratique ».
C’est par son travail, ses qualités intellectuelles, politiques et personnelles que Babacar Touré est perçu dans notre société comme un grand opérateur politique, un leader de la société civile, au sens gramscien de ce terme. C’est un homme d’influence dont les prises de position ne laissent personne indifférent.
Des souvenirs plus personnels émaillent cette période. Comme celui de ma première rencontre en tête à tête avec Landing Savané, chez Babacar Touré, qui après nous avoir installés pour un dîner improvisé a eu la délicatesse de nous laisser seuls pendant plus de deux heures d’horloge. Il est vrai qu’en dehors des rencontres dans des cadres d’unité d’action, je n’avais pas eu l’occasion de connaître Landing, car je quittais Paris quand il arrivait dans la capitale française. Il y a au aussi le baptême du fils d’Idrissa Seck dans les années de braise où nous nous sommes retrouvés Abdoulaye Wade, Moustapha Niasse, Babacar Touré et moi-même. Une photo prise à l’époque et exhibée au cours d’une réunion houleuse autour du Président Wade par Idrissa Seck alors directeur de Cabinet a permis de calmer les esprits et de parvenir à un accord sur un sujet de controverse. Je n’évoquerai pas les séances de yoga chez Babacar avec ma fille Yacine, ni l’amitié avec mon jeune frère Alseyni qui a été médecin accoucheur du dernier fils du patron de « Sud ». Sans compter nos randonnées intellectuelles et notre fraternité d’armes et familial avec Albert Bourgi, Alpha Condé, Laurent Gbagbo, Ba Boubacar Moussa et autres, quelles que soient les vicissitudes de la vie et la diversité de nos opinions.
À l’évidence, l’histoire de « Sud » se confond avec l’histoire du Sénégal de ces trois dernières décennies, celle de nos « Trente Glorieuses » qui verront très prochainement, j’en suis persuadé, le parachèvement de notre système démocratique, laïc et républicain.
Joyeux Anniversaire à « Sud » ! Avec toute mon affection, je dis bravo à Babacar Touré, Ndiaga Sylla, Latif Coulibaly, à Ibrahima Bakhoum, à Sidy Gaye, à Madior, à Henriette, à toutes et à tous, chers confrères.
Amath Dansokho
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